Le biologiste Konrad Lorentz (1903-1989) avait remarqué que, lorsqu’ils deviennent très nombreux, les oiseaux n’éduquent plus leurs enfants.
Les oiseaux font partie des animaux les plus évolués de la création, peu après les mammifères. Comme les singes, ils sont capables d’imitation. Cela leur permet d’éduquer leurs enfants. Ainsi, chaque famille a un chant particulier qui la distingue des autres familles. Les biologistes ont montré que l’imitation peut provoquer des comportements altruistes, grâce à une sélection de parentèle dite culturelle.
Par exemple, à l’approche d’un aigle, un petit oiseau va pousser des cris. Ce faisant il attire l’attention de l’aigle sur lui et met sa vie en danger. Ce comportement ne peut en aucun cas être d’origine génétique car, s’il l’était, il entraînerait rapidement la disparition du gène en question. Il est donc nécessairement de type culturel (il se transmet par imitation). Il permet la sauvegarde de l’espèce dans son ensemble.
Un comportement altruiste implique un comportement social. Ce dernier est particulièrement visible chez les oiseaux migrateurs lorsque, à l’automne, ils se réunissent avant d’affronter la traversée d’une mer. Un tel comportement est utile à la conservation de l’espèce. Si, par contre, un comportement social met l’espèce en danger, la sélection naturelle dite de parentèle va tendre à l’éliminer.
Lorsqu’une espèce d’oiseaux devient très nombreuse, elle épuise ses ressources en nourriture et met son existence en danger. La sélection de parentèle va tendre à éliminer ce comportement. Dans la mesure où le choix de la nourriture est un comportement culturel transmis par l’éducation, un bébé non-éduqué aura plus de chances d’adopter une nourriture différente de celle de ses parents. Cela expliquerait pourquoi, lorsqu’ils sont très nombreux, les oiseaux n’éduquent plus leurs enfants.
En serait-il de même pour l’espèce humaine? Cela parait fort probable. En une ou deux générations, quelques tracteurs ont remplacé des centaines d’ouvriers agricoles. On ne lit plus, on écoute la radio ou on regarde la télévision. On n’écrit plus, on envoie des textos en sms. On ne compte plus, on prend sa calculette. Lire, écrire, compter sont devenus des savoirs d’un autre âge. Nous sommes devenus entièrement dépendant de la technique.
Celle-ci a permis à notre espèce de se multiplier à une vitesse sans précédent. Malheureusement, elle provoque l’épuisement de nos ressources fossiles, la perte de notre biodiversité et le réchauffement climatique. Aujourd’hui on ne transmet plus que des savoirs liés à la technique. On oublie d’apprendre à penser. Notre élite ne cherche plus à comprendre, mais à développer des technologies nouvelles. Continuer à transmettre ces savoirs ne met-il pas notre espèce en danger?
Il fut un temps où faire des études supérieures garantissait un emploi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des études longues et coûteuses n’apparaissent plus comme une nourriture culturelle aussi attrayante. Certains jeunes font des études supérieures, d’autres s’arrêtent après le bac. Dans une société qui risque de s’effondrer, peut-on dire aujourd’hui ceux qui s’en sortirons le mieux? Si, génétiquement, nous ne formons qu’une seule espèce, culturellement nous en formons de nombreuses. La sélection de parentèle culturelle décidera de l’avenir de nos enfants.
L’histoire nous apprend qu’il y a eu un précédent. Peu avant Jésus-Christ, Jules César parlait et écrivait couramment latin et grec. Trois siècles plus tard, l’empereur Maximilien 1er écrivait mal le latin et ne connaissait pas le grec. En 518 après J.-C., l’empereur byzantin Justin 1er ne savait ni lire ni écrire. Quand j’étais petit, on m’apprenait la chanson: « Le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l’envers… ». Ce n’est qu’avec Charlemagne qu’on réalise enfin l’importance de l’éducation. Peu avant sa mort, il s’efforçait d’apprendre à lire.
De même que la disparition d’une population animale s’identifie à la disparition de ses gènes, de même, la fin d’une civilisation s’identifie à la fin de sa culture. La fin de l’empire romain nous en donne une illustration. Il est temps de le comprendre et de changer la manière dont nous éduquons nos enfants. Survivront ceux qui auront les connaissances fondamentales nécessaires à la reconstruction d’une société, au dépens de ceux qui n’auront que des connaissances techniques.