140 – La théorie des équilibres ponctués

On doit au paléontologue américain Stephen Jay Gould et à son associé Niles Eldredge la constatation que l’évolution des espèces n’est pas uniforme dans le temps mais procède par sauts brutaux à des époques particulières. C’est la théorie dite « des équilibres ponctués ». Le physicien Per Bak a montré qu’elle est une conséquence du processus général de criticalité auto-organisée selon lequel les structures dissipatives s’organisent.

Cela signifie que l’évolution d’une société humaine suit un processus du même type que celui des espèces animales ou végétales. Il est intéressant de comparer leurs évolutions respectives. L’apparition d’une nouvelle espèce animale ou végétale serait l’équivalent de la naissance d’une société nouvellement organisée. Nous avons vu que cette dernière évolue en traversant quatre phases successives qualifiées de phase de dépression, d’expansion, de stagflation et de crises. Ce sont les phases des cycles de Turchin et Néfédov. Il semble qu’on retrouve effectivement ces mêmes phases dans l’évolution d’une espèce.

La phase de dépression correspondrait à la phase durant laquelle une nouvelle espèce apparait et s’installe dans sa niche écologique. Suit une phase d’expansion durant laquelle les membres de cette espèce se multiplient rapidement. Après avoir atteint une certaine valeur la population se met à stagner. C’est la phase de stagflation durant laquelle l’espèce modifie l’environnement à laquelle elle est adaptée. On entre alors dans la phase de crise durant laquelle, devenue inadaptée, l’espèce finit par s’éteindre pour être remplacée par une espèce mieux adaptée au nouvel environnement.

La similarité entre les deux processus montre qu’ils sont de même nature. Dans le cas des espèces animales ou végétales, l’information est mémorisée dans les gènes. Il s’agit d’une évolution génétique. Celle-ci est très lente et s’étale sur des millions d’années. Dans le cas des sociétés humaines, l’information est mémorisée dans le cerveau et se transmet par la parole et l’écriture. Il s’agit d’une évolution culturelle. Beaucoup plus rapide que l’évolution génétique, elle s’accomplit en quelques siècles. Ce sont les cycles séculaires de Turchin et Néfédov.

Les progrès dans les transports et les communications font que l’évolution culturelle s’est encore accélérée. La France d’aujourd’hui vit dans une société dont la culture s’est développée à la fin de la première guerre mondiale et dont les phases n’ont duré que 30 ans. Marquée par la grande dépression de 1929, sa phase de dépression s’étend de 1918 à 1948. Suit une phase d’expansion, connue sous le nom de « 30 glorieuses », allant de 1948 à 1978, puis une phase de stagflation parfois qualifiée de « 30 piteuses ». Elle s’étend de 1978 à 2008. La crise bancaire de 2008 marque le début d’une phase de crise qui devrait logiquement durer jusqu’en 2038.

C’est durant sa phase de crise qu’une société s’effondre. L’effondrement correspond à ce que j’ai appelé la « falaise de Sénèque » une appellation suggérée par l’italien Ugo Bardi (voir la figure du billet 93). Cette falaise correspond au palier de condensation des thermodynamiciens. Elle se situe donc au milieu de la phase de crise. Si on applique ce résultat à la société française actuelle, on doit s’attendre à ce que celle-ci s’effondre en 2023, soit à la fin du présent mandat présidentiel. Je laisse mes lecteurs juger de la pertinence d’une telle prédiction.

À quoi doit-on s’attendre concrètement? La comparaison avec la fin des espèces végétales ou animales nous met sur la voie. Celles-ci s’éteignent lorsque leurs gènes ne sont plus adaptés à l’environnement. Dans le cas d’une société humaine, c’est sa culture qui n’est plus adaptée à l’environnement. C’est bien le cas de la société actuelle, société de compétition dont la principale source d’énergie, le pétrole, s’épuise et dont l’activité modifie le climat.

De même que la théorie des équilibres ponctués laisse prévoir une évolution rapide des gènes à des époques très particulières, de même elle laisse prévoir une évolution très rapide de la culture à des époques très particulières. J’ai suggéré que notre société actuelle allait s’effondrer en 2023. Cela implique une fin brutale de la culture dominante présente. On pourra alors espérer voir enfin rapidement s’étendre une nouvelle culture, beaucoup moins portée vers la croissance économique et beaucoup plus orientée vers la préservation de l’environnement.


29 réflexions sur « 140 – La théorie des équilibres ponctués »

  1. Bonjour,
    Est ce que votre phrase « Cela implique une fin brutale de la culture dominante présente » se vérifie lors de la précédente phase de crises, autour de 1888-1918 sinon on conserve une durée de 30 ans, bien que l’information allant moins vite, la durée de la précédente phase de crises a pu être plus longue?
    Merci

    1. Bonjour,

      Au hasard de mes lectures je suis tombé sur cet article que je trouve bien argumenté sur le site atlantico.fr qui traîne la réputation d’être quelque peu partisan.

      http://www.atlantico.fr/decryptage/3573310/grand-menage-sur-les-partis-existants–cette-recomposition-politique-liee-a-la-mondialisation–dans-les-annees-1880-philippe-fabry

      Le site limite le nombre de lectures gratuites mais cela me semble être à base des cookies-mouchards. La navigation privée de firefox ou la remise à zéro de ces cookies passent outre.

      En deux mots l’article énonce que cette période 188x-201x correspond au cycle de la république sociale (française ou occidentale). D’abord consolidation de la république (et non de l’empire ou de la royauté), mise en place de l’impôt sur le revenu, etc. jusqu’à aujourd’hui et la crise des partis politiques de gouvernement lors de la présidentiel et des élections européennes de ces derniers jours. Il illustre ce cycle avec les maintenant très modérés partis des « radicaux, de droite ou de gauche » qui sans changer énormément d’état d’esprit étaient des républicains justement très radicaux au début de la 3ème république.

      Faire ressortir cette unité de régime politique m’a d’abord surpris, je pensais a priori que ces indices se trouveraient plus dans la production industrielle sans doute centuplée. Cette remarque sociale et politique a l’avantage de décrire « pas mal » un mouvement général d’un siècle en « peu de mots ».

      Remarquons qu’un même bon en arrière de 120 ans nous amène à l’époque de la Révolution, avec durant ce siècle les autres révolutions de 1830, 1848, 1870. L’époque d’avant mériterait peut-être le titre de monarchie absolue, de Louis XIV à Louis XVI…

      Je laisse plus savant que moi argumenter !

      J’adresse mes plus chaleureux remerciements pour l’effort de pédagogie et de partage du maître du lieu, et mes bien cordiales salutations à tous.

      F.

  2. n’est-ce pas dans le domaine de l’épigénétique et même l’épimémétique ?
    la nécessité fera loi…
    bien à vous.

  3. Heu… Macron ou Le Pen en 2023, vous trouvez que c’est « une nouvelle culture, beaucoup moins portée vers la croissance économique et beaucoup plus orientée vers la préservation de l’environnement » ???

  4. 2023,
    c’est une date depuis longtemps avancée dans certains cercles…
    Et j’avoue ici que, cette coïncidence me surprend quelque peu, ou peut-être pas, finalement.

  5. Pour René Thom: « Les situations dynamiques régissant l’évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent les hommes et les sociétés. »

    Donc, de ce point de vue, Thom et Prigogine-Roddier (et Per Bak?) même combat.

    Dans le cas de deux actants on se trouve dans la situation de la falaise de Sénèque (Roddier) ou dans celle de la catastrophe fronce (Thom) qui lui ressemble beaucoup (cf. par ex le billet 120).

    Pour Roddier la situation archétype est thermodynamique de type cycle de Carnot (les deux actants étant la source chaude et la source froide). S’y rapportent une foule de situations décrites par F. Roddier dans ses billets; en particulier le conflit prédateur-proie modélisé par les équations de Lotka-Volterra où apparaît une bifurcation de Hopf.

    Pour Thom la situation dynamique archétype est biologique de type prédateur-proie. Le cycle complet -tel que je le flaire- résulte de la régulation du conflit entre deux dynamiques: une dynamique hamiltonienne, féminine, et une dynamique de gradient, masculine.

    Dans le cadre du billet 140 (mais je suis convaincu qu’il s’agit d’un schéma universel, indépendant du substrat -biologique, sociologique, thermodynamique, etc.-, on a au début une dynamique hamiltonienne: l’espèce à venir attend son tour, elle tourne en rond, elle est en stand-by. Puis une espèce voisine est, elle, sur le déclin, à bout de souffle: une dynamique de gradient négative, de type catastrophe fronce, s’instaure, létale pour elle. L’espèce nouvelle profite de l’opportunité: elle récupère cette dynamique de gradient pour en faire une dynamique positive pour elle, vitale¹: instauration d’une nouvelle niche écologique, suivie d’une phase de croissance rapide. Puis la dynamique de gradient s’essouffle et laisse place à une nouvelle dynamique hamiltonienne, la transition se faisant par une bifurcation de Hopf; stabilisation (phase adulte). Puis l’entropie fait son effet (bifurcation de Hopf inversée): la dynamique hamiltonienne adulte s’épuise et une dynamique de gradient létale -toujours de type fronce- s’instaure; l’espèce nouvelle se trouve dans la situation de l’espèce qu’elle vient de remplacer.

    Analogie sociale actuelle: l’espèce en stand-by c’est le peuple depuis un certain temps; la dynamique de gradient positive qui s’instaure est impulsée par les GJ -qui récupèrent l’énergie de LaReM, en perte de vitesse-..

    Dans le cas du conflit entre deux actants, je n’arrive pas à faire complètement la jonction entre les approches prigoginienne et thomienne. (En bref, je n’arrive pas à théoriser la chose.)

    (Dans le cas général du conflit à n actants je suis convaincu de la supériorité du modèle de Thom sur le modèle de Prigogine -et de Peer Bak?-: la mathématique est une métaphysique.)

    ¹: Ago-antagonisme?

      1. Merci. Faire une véritable synthèse du réductionnisme et du systémisme, il faut oser! J’ai feuilleté les premières pages. Je sens que je vais me régaler.

        René Thom, mon mentor, est évidemment un ago-antagoniste à donf puisque pour lui l’expression de nature translogique « Le prédateur affamé est sa propre proie » est à la base de l’embryologie animale. (Le caractère ago-antagoniste se concentre sur des oxymores…)

        Thom commence son article « Individuation et finalité » (Apologie du logos) en notant que, pour lui, la théorie générale des systèmes a pour fonction primordiale « l’exploration, l’élucidation de toutes les questions où la vision scientifique du monde débouche sur la métaphysique ». Pour lui, le but que doivent se fixer les « systémistes », c’est l’élucidation du problème de « la définition de l’être individué ».

        Vers une synthèse de l’approche scientifique « classique » (post-galiléenne, quantitative, telle que je perçois celle de Prigogine et al. -dont François Roddier) et de l’approche quasi-exclusivement qualitative de Thom?

        Pour moi c’est la mathématique qui est une métaphysique et non la physique qui est une métamathématique. (Je reconnais que je n’ai pas là l’ago-antagoniste-attitude que prône Jacques de Gerlache dès les premières pages de son exposé…)

        1. Peut-être Maxwell a-t-il eu une attitude ago-antagoniste: le champ magnétique antagoniste du champ électrique agoniste. (La théorie de Maxwell a contraint les newtoniens de revisiter leur principe de l’action et de la réaction (l’agonisme de l’action et l’antagonisme de la réaction. La théorie de la relativité restreinte peut être vue, il me semble -je ne suis pas physicien- comme une réponse à ce problème.

          La théorie de la relativité générale d’Einstein comme une théorie seulement agoniste? la théorie de Jean-Pierre Petit: théorie ago-antagoniste? JPP en Maxwell de la gravitation?

        2. Je terminais un précédent commentaire par:

          « Je reconnais que je n’ai pas là l’ago-antagoniste-attitude que prône Jacques de Gerlache dès les premières pages de son exposé… »

          Jacques de Gerlache ne fait pas mieux! En effet son ago-antagonisme (qui n’est pas celui de Roddier, plus subtil, il me semble) n’est qu’un autre nom pour le conflit héraclitéen à deux actants.

          JdG se limite à la physique en tentant -avec difficulté!- de ne pas franchir la ligne rouge de la métaphysique, en « bon » positiviste peut-être:

          « Cela ne va pas toujours de soi et ne renvoie pas à un questionnement métaphysique. » (p.21);
          « Tous ces « systèmes (…) sont en soi des processus en partie déterminés par une (leur) finalité (p.36).

          « Faites comme je dis mais pas comme je fais ». Telle est l’impression que me laisse la lecture de cet exposé qui ne dit mot ds travaux du « camp d’en face », celui du mathématicien René Thom, à ce sujet:

          « Il faut toujours apprendre ou réapprendre à penser toujours d’une manière bipolaire et de ne pas céder à l’attrait d’une pensée unipolaire. » (p.5)

          Pour moi le fait d’ignorer les travaux de Thom en se cantonnant à ceux de Prigogine conduit JdG à faire un pacte avec le diable « hasard » (p.20). Thom et Prigogine ont eu une assez violente querelle à ce sujet fin des années 1970.

          Galilée: « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. »

          Quatre siècles plus tard cette citation est encore d’actualité pour certains. Dont moi. (Thom est un géomètre.)

          1. L’ago-antagonisme dont parle François Roddier dans son billet 120 n’est pas, à mon avis le même que l’ago-antagonisme dont parle Jacques de Gerlache.

            Le système ago-antagoniste de FR (moteur à deux cylindres de 2CV Citroën) me semble plutôt être un couplage (lui-même ago-antagoniste?) de deux systèmes ago-antagonistes de JdG.

            René Thom a consacré -entre autres- trois chapitres de son bouquin « Esquisse d’une sémiophysique » (1988) à la présentation (chapitre 3) puis à l’utilisation (chapitres 4 et 5) de tels systèmes ago-antagonistes itérés. Puisqu’il s’agit de biologie théorique (le chapitre 4 est intitulé « Embryologie animale » et le chapitre 5 « Le plan général de l’organisation animale »), je m’étonne qu’un systémiste comme JdG ne le mentionne pas.

            1. je n’ignore pas la vision de René Thom, bien au contraire. C’est bien une pensée dialogique qui est indispensable .
              Et ma relation à l’ago-antagonisme s’inscrit dans celle de Elie Bernard-Weil, son initiateur que j’ai rencontré …

          2. voilà une lecture un peu réductrice de cette évocation des structures complexes : dans cette présentation de JdG, elle ne se réduit justement pas à un « conflit hératicléen entre deux actant » mais intègre au travers de celle d’ago-antagonisme celle de couplages symbiotiques co-déterminés, transcendant avec Elie Bernard-Weil avec la notion d' »hétéro-organisation » celle, réductrice, d’auto-organisation . Pas plus qu’elle ne se réduit à une lecture « physique » et met justement en question la notion de « hasard » et réintroduisant la notion bannie de « finalité » en évoquant celle de la contrainte de l’équilibre thermodynamique, nullement « métaphysique », comme catalyseur de l’émergence de états organisés. Pas d’opposition non plus avec les conceptions de René Thom, bien au contraire, même s’il n’était pas possible de tout évoquer dans une seule présentation. Mais considérer que l’univers serait mathématique avant d’être matériel, voilà bien une conception « métaphysique » . C’est Aristote qui disait que la nature commence là ou s’arrêtent les mathématiques.
            Au delà, plus que les « opinions » ce qui compte, ce sont les faits et il est dommage que bien des esprits, en particulier scientifiques aient tant de difficulté à remettre en cause les limites des paradigmes qu’ils se sont forgés quand des connaissances nouvelles de la réalité devraient les y contraindre. « Ceci n’est a une pipe » les en avertit pourtant René Magritte, esquissant en un simple tableau les limites de nos processus mentaux de re-présentation …

            1. Thom est beaucoup plus déterministe que Prigogine, cela ne fait aucun doute; il suffit pour cela de consulter « La querelle du déterminisme » sous l’égide de Krzysztof Pomian dans laquelle ils se sont opposés. Le déterminisme n’est pas pour lui une donnée mais une conquête: « Si un processus physique nous apparaît comme non-déterministe, c’est parce qu’on le représente dans un espace inadéquat : il faut alors ajouter des dimensions supplémentaires. Il faut ajouter des dimensions cachées jusqu’au moment où l’apparence de non-déterminisme disparaît. »

              JdG: « dans cette présentation de JdG, elle ne se réduit justement pas à un « conflit héraclitéen entre deux actants »

              Pour moi, qui n’ai d’autre idée de l’ago-antagonisme que les doubles diagrammes « de Carnot » du billet 120 de F. Roddier, le conflit héraclitéen à deux actants est à lui seul ago-antagoniste car dans le lacet de prédation (pour Thom archétypique de ce type de conflit) il y a une phase agoniste pendant laquelle le prédateur est sa propre proie (parce qu’il la désire plus que lui-même) suivie d’une phase antagoniste, celle pendant laquelle le prédateur, ayant aperçu une proie, redevient lui-même et la prend en chasse. Et la catastrophe « fronce » permet de visualiser la chose -et donc de la comprendre-, alors que la logique classique, aristotélicienne, principe de non contradiction oblige, ne le permet pas.

              JdG: « Mais considérer que l’univers serait mathématique avant d’être matériel, voilà bien une conception « métaphysique » . »

              Thom ne se cache pas de cette approche métaphysique puisqu’il termine son dernier bouquin majeur, Esquisse d’une sémiophysique », par: « Seule une métaphysique réaliste peut redonner un sens au monde. ».

              JdG: « C’est Aristote qui disait que la nature commence là ou s’arrêtent les mathématiques. »

              Thom (et Platon avant lui) s’oppose radicalement à cette vision réductrice des mathématiques. Pour lui l’inéluctabilité d’une approche métaphysique est due à l’analogie, pour moi génialissime, entre différenciation cellulaire et différentiation des fonctions (Stabilité structurelle et morphogenèse, 2ème ed., p.32). En ce qui concerne précisément Aristote, auquel est consacré une partie de « Esquisse d’une sémiophysique », sous-titré « Physique aristotélicienne et théorie des catastrophes », Thom salue sa Phusis (« Les livres II et III sont l’un des sommets de l’esprit humain ») et y débusque un Aristote … topologue.

              JdG: « Au delà, plus que les « opinions » ce qui compte, ce sont les faits et il est dommage que bien des esprits, en particulier scientifiques, aient tant de difficulté à remettre en cause les limites des paradigmes qu’ils se sont forgés quand des connaissances nouvelles de la réalité devraient les y contraindre. »

              Thom: « Lorsqu’on a compris – à la suite de T. S. Kuhn – le caractère « automatique » du progrès scientifique, on se rend compte que les seuls progrès qui vaillent sont ceux qui modifient notre vision du monde – et cela par l’élaboration de nouvelles formes d’intelligibilité. Et pour cela il faut revenir à une conception plus philosophique (voire mathématique) des formes premières d’intelligibilité. Nos expérimentateurs, sempiternels laudateurs du « hard fact », se sont-ils jamais demandé ce qu’est un fait ? Faut-il croire – ce qu’insinue l’étymologie – que derrière tout fait, il y a quelqu’un ou quelque chose qui fait ? Et que ce quelqu’un n’est pas réduit à l’expérimentateur lui-même, mais qu’il y a un « sujet » résistant sur lequel le fait nous apprend quelque chose ? Telles sont les questions que notre
              philosophe [de la nature] devra constamment reposer, insufflant ainsi quelque inquiétude devant le discours volontiers triomphaliste de la communauté scientifique. Bien sûr la Science n’a nul besoin de ce discours pour continuer. Mais il restera peut-être quelques esprits éclairés pour l’entendre, et en tirer profit. »

    1. Pour une pensée bipolaire …

      «Il faut apprendre ou réapprendre à penser toujours d’une manière bipolaire et de ne pas céder à l’attrait d’une pensée unipolaire, branchée sur un pôle dominant -ce qu’on appelle aussi « pensée unique » de nos jours -une tentation qui fait immanquablement plonger dans l’erreur et l’impuissance. La seule excuse, c’est que presque tout le monde considère que c’est là l’enjeu de la rationalité : trouver le bon pôle. Faux! Il en est une autre, de rationalité, et que certains d’entre vous professent au moins implicitement, c’est la rationalité systémique, et particulièrement celle ago-antagoniste, qui, elle, au moins, accepte de faire couple avec la .science dite réductionniste -l’inverse étant rarissime !»

      Elie Bernard Weil

      (Extrait de http://www.afscet.asso.fr/Ande14/agoantagonismeComplexiteJdeG.pdf )

      À mettre en regard avec l’ordolibéralisme « constitutionnel » de l’Allemagne et de l’UE.

  6. En passant, j’ ai vu de la lumière ….
    Vous écrivez: » » »Cela signifie que l’évolution d’une société humaine suit un processus du même type que celui des espèces animales ou végétales. Il est intéressant de comparer leurs évolutions respectives. L’apparition d’une nouvelle espèce animale ou végétale serait l’équivalent de la naissance d’une société nouvellement organisée. «  » »
    Lévi Strauss critique radicalement (dans race et histoire) l’ analogie d’ une évolution génétique et de l’ évolution culturelle.
    Pour suivre cette piste, on peut soutenir que l’ évolution des espèces, nécessite comme outil adaptatif la proximité de « taxons » avec lesquels une hybridation peut s’effectuer.
    L’ espèce humaine n’a plus (depuis peu) cette possibilité.
    C’est, me semble t il, la raison pour laquelle elle a développé une altérité culturelle afin de se substituer à l’ altérité spécifique défaillante.
    Lévi Strauss a montrer la façon dont un petit « je » dans les chaines du déterminisme comportemental (en l’ocurrence la polygamie des chefs) de certaines tribus, peut induire par itération, des bifurcations pouvant initier des cultures différentes.
    Ces cultures bifurcantes sont peu miscibles mais peuvent nous autoriser des hybridations adaptatives.
    A mon avis, si les cultures et civilisations s’effondrent, la seule raison est d’ origine structurelle. Prigogine mentionne que seules systèmes morcelés auto-organisés sont stable (lettre à la commission européenne). Nos groupes, étant référés à l’ affect et aux interactions nécessitant la connaissance des individus (E.Goffman/K.LOrenz), ne peuvent dépasser un groupe restreint à moins de 100 individus , du moins si l’ on recherche l’ optimisation de l’ individu.
    Il me semble que l’ on oublie bien trop vite l’ importance des rigidités comportementales .

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