5 – Le siècle des menaces

Père de la recherche spatiale française, Jacques Blamont a guidé mes premiers pas de chercheur de 1960 à 1964. Dans son dernier livre intitulé “Introduction au siècle des menaces” (1) il brosse un tableau extrêmement pessimiste du 21ème siècle. Je donne ici mon propre point de vue. Dès les années 60, suite au “baby-boom” de l’après guerre, un certain nombre de responsables se sont de nouveau inquiétés de l’expansion démographique de l’humanité, notamment au fameux Club de Rome (2). Fondées sur les connaissances de l’époque, les prédictions du Club de Rome se sont avérées pessimistes. La découverte de nouveaux gisements pétrolifères a permis à l’humanité de maintenir sa croissance. Depuis 1960 la production mondiale de céréales a doublé suivant de près l’augmentation de la population. Bien que cette production soit théoriquement suffisante pour nourrir toute l’humanité, elle est très inégalement répartie. C’est pourquoi 815 millions d’individus souffrent toujours de la faim dans le monde, mais ce chiffre diminue en moyenne de 6 millions par an (3). Tout cela donne l’impression que la croissance peut continuer indéfiniment notamment grâce aux nouvelles biotechnologies (4). Ce n’est bien sûr qu’une illusion. Les prévisions du Club de Rome reposaient sur les réserves de pétrole connues à la fin des années 60. Ces réserves ont doublé depuis mais on en découvre de moins en moins, il devient plus difficile à extraire, et surtout on en consomme de plus en plus. Des pays comme la Chine et l’Inde veulent à juste titre atteindre le niveau de vie des pays plus avancés. Il est clair qu’un jour ou l’autre la production ne pourra plus suivre la demande. L’augmentation actuelle du prix du pétrole semble indiquer que c’est peut-être déjà le cas. Les pessimistes soulignent que la production par habitant de cette planète a déjà commencé à décroître (5). Tous les experts s’accordent pour dire que, en valeur absolue, la production passera par maximum d’ici 2025 ou 2030 (6). Un observateur réputé indépendant comme Jean Laherrere estime que ce maximum sera atteint dès 2015 (7). Après quoi ce sera la crise. Pour les économistes, il suffit d’injecter des capitaux pour reculer la fin du pétrole. Ils semblent oublier que ces capitaux serviront à financer la dépense d’énergie nécessaire pour extraire davantage de pétrole. Tôt ou tard, on dépensera plus d’énergie qu’on n’en extrait. La fin du pétrole est donc inéluctable et sans doute pour bientôt. Voilà la véritable menace du 21ème siècle (8). Lorsqu’on en parle autour de soi, la première réaction est: “on trouvera bien autre chose”. Deux siècles d’abondance énergétique semblent avoir créé une foi inébranlable dans le progrès au point qu’on oublie que le progrès et la croissance proviennent de l’abondance énergétique. Sans pétrole, on ne pourra pas développer l’utilisation d’autres formes d’énergie: pour fabriquer un simple panneau solaire, il faut dépenser à l’avance 5 ans de sa production en énergie (9). Plus grave encore, les simulations du Club de Rome (qui restent parfaitement valides) montrent que même si nos ressources en pétrole étaient inépuisables, le problème majeur serait alors la pollution et le réchauffement de la planète, ce que nous commençons à constater effectivement (10). Les optimistes diront que si l’on parvenait à remplacer le pétrole par des sources d’énergies non polluantes alors un développement durable deviendrait possible. Ce cas aussi a été étudié par le Club de Rome. Le problème majeur deviendrait alors l’insuffisance des surfaces de terres cultivables. En fait, les partisans de la croissance oublient tout simplement qu’il n’est pas possible de maintenir indéfiniment une croissance exponentielle sur une planète de dimension finie. Richard Dawkins nous le rappelle de façon si humoristique que je ne résiste pas à traduire ici son texte: < < …, la population actuelle de l’Amérique latine est d’environ 300 millions d’individus dont beaucoup sont déjà mal nourris. Si la population continue à croître au rythme actuel, en moins de 500 ans on atteindra le stade où, entassés debout les uns contre les autres, ils couvriront d’un tapis humain tout le continent. Cela est vrai, même s’ils sont très maigres, une hypothèse qui n’est pas irréaliste. D’ici mille ans, ils se tiendront debout les uns sur les autres sur une épaisseur de plus d’un millier d’individus. D’ici deux mille ans la montagne humaine se propageant vers l’extérieur à la vitesse de la lumière aura atteint les limites connues de l’univers. >> (11). Bien sûr nous n’en arriverons pas là. L’épuisement des ressources naturelles conduira bien avant à un arrêt de la croissance et cela commencera avec la fin du pétrole. Comme nous l’avons vu, cette situation n’est pas nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Nous l’avons décrite dans le cas particulier de l’île de Mangareva (article 1) mais nous avons vu qu’il y a beaucoup d’autres exemples. De fait, les archéologues sont de plus en plus convaincus que l’expansion démographique de l’humanité n’a pas été régulière. Elle est plutôt faite d’une suite d’expansions locales rapides suivies de régressions liées à l’épuisement des ressources naturelles (12). Ce qui est nouveau c’est que cela se produit maintenant à l’échelle de la planète toute entière. Jusqu’à nos jours le remède contre la famine était l’émigration dans un pays plus riche et moins peuplé. Bientôt ce ne sera plus possible. Il est grand temps de prendre notre destin en main. Je terminerai en citant un passage écrit par un astronome (Fred Hoyle) que je traduis ainsi: < < Il a souvent été dit que, si l’espèce humaine échoue sur terre, une autre espèce la remplacera. En ce qui concerne le développement de l’intelligence, c’est faux. Nous avons ou nous aurons bientôt épuisé tout ce qui sur cette planète est physiquement nécessaire pour cela. Sans charbon, sans pétrole, sans minerai de qualité, aucune espèce, aussi compétente soit-elle, ne pourra plus à partir de conditions primitives accéder à une technologie avancée. L’occasion est unique. Si nous échouons, c’est un échec pour l’intelligence dans ce système planétaire. Il en est de même pour les autres systèmes planétaires. Pour chacun d’eux il y aura une occasion et une seule>>(13).

apres_le_petrole Après le pétrole

(1) Jacques Blamont, Introduction au siècle des menaces (Odile Jacob, 2004) (2) Sur le Club de Rome, voir le texte de Jean-Marc Jancovici à http://www.manicore.com/documentation/club_rome.html (3) http://terresacree.org/faim.htm (4) http://www.cgfi.org/materials/speeches/yield_ag.htm (5) http://www.dieoff.org/synopsis.htm (6) Voir par exemple: Alternatives économiques, no. 241 (novembre 2005) et no 66 (hors série). (7) http://www.oilcrisis.com/laherrere/nice.pdf (8) Jean-Luc Wingert, La vie après le pétrole. Voir aussi: http://www.oleocene.org/index.php?page=accueil&section=introduction (9) D’après Jean-Marc Jancovici à http://www.manicore.com/documentation/solaire.html (10) http://rechauffementclimatique.blogspirit.com/archive/2005/12/12/ca-roule.html (11) Richard Dawkins, the selfish gene (Oxford University Press, 1976), p. 111. Aussi surprenant que cela paraisse les chiffres donnés par Dawkins sont parfaitement exacts. Ils montrent bien les propriétés d’une croissance exponentielle. (12) Stephen Shennan, Genes, Memes and Human History (Thames & Hudson, 2002) p. 173. (13) Fred Hoyle, Of Men and Galaxies (1964), réédité en mai 2005 par Prometheus Books).


6 réflexions sur « 5 – Le siècle des menaces »

  1. Bonjour, je trouve vos travaux très intéressants, continuez comme cela !

    De ce point de vue, les différentes crises économiques que nous avons subies apparaissent être une bonne chose pour la survie de notre espèce.
    Le ralentissement de la croissance entraîne un ralentissement de la consommation d’énergie, ce qui nous laisse plus de temps pour prendre conscience des dangers et développer les énergies renouvelables, ou la fusion contrôlée.

  2. M. HOYLE qui est cité dans ce billet confond intelligence et technologie.

    On retrouve cet aspect thermodynamique qui est le thème du blog (de M. Roddier).

    La question soulevée, outre la question « écologique » ( dans un cadre intellectuel trop étroitement technique il me semble), est le Paradoxe de Fermi, expliquant par l’effondrement l’invisibilité de civilisations extra-terrestres dont ses calculs ont pourtant déterminé une certaine densité.

    Il y a une réponse plus simple à ce paradoxe. Mais là encore cela suppose de poser la question en dehors des paradigmes de notre époque.

  3. La différence entre un pessimiste et un optimiste, c’est que le pessimiste est bien informé des éléments du dossier…

    (je ne sais plus qui est l’auteur de cette pertinente boutade)

    J’ai pris le temps de lire le Rapport MEADOWS. Il est un peu facile d’accuser de pessimisme, déclinisme, sinistrose, etc… ceux qui vont à la confrontation avec le réel.

    Qui donc est dans le déni ? et veut y rester jusqu’au dernier moment ?
    Je vous encourage à écouter Pablo SERVIGNE sur ce sujet.

    1. A Hélène HK.
      Dans le style de votre « différence entre le pessimiste et l’optimisme », on peut dire aussi :
      La différence entre le savant et l’ignorant, c’est que :
      le savant sait qu’il ignore presque tout, et c’est pourquoi il continue imperturbablement à chercher ;
      l’ignorant ignore qu’il ignore tout, c’est pourquoi il croit tout connaître et fait preuve de tant de vanité.
      Chez Homo Sapiens Demens, les deux traits de caractère sont indissolublement liés.

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