13 – Le phénomène d’autocatalyse.

Comme les cycles chimiques décrits précédemment, la vie est faite de cycles répétés indéfiniment. L’œuf donne naissance à la poule qui pond un nouvel œuf et ainsi de suite. Lequel des deux est apparu en premier? Les travaux de Pasteur ont montré que la vie n’apparaît pas spontanément. Il n’y a pas de génération spontanée (1). Un milieu stérilisé reste stérile. Or, la terre s’est formée il y a 4,7 milliards d’années. Comment la vie y est-elle apparue? Y avait-il déjà une certaine forme de vie dans la nébuleuse primitive qui a donné naissance à la terre?

Ce problème est aujourd’hui largement débattu parmi les spécialistes. Si l’on ne connaît pas encore le mécanisme détaillé qui a conduit à l’apparition de la vie sur terre, on peut cependant en concevoir maintenant les étapes essentielles (2). Il s’agit d’un mécanisme extrêmement lent qui a duré peut-être un milliard d’années. Si la génération spontanée n’est pas possible à l’échelle de temps humaine, elle devient possible sur une telle échelle de temps.

L’image en tête de ce blog montre la nébuleuse primitive entourant l’étoile GG Tau. A l’origine le Soleil était lui aussi entouré d’une telle nébuleuse. On sait maintenant qu’elle contenait de nombreuses molécules organiques. Les comètes qui proviennent des restes de cette nébuleuse en sont témoins. Des météorites d’origine cométaire comme la météorite de Murchison (3) en ont fourni la preuve. On y a trouvé 18 variétés d’acides aminés dont 6 font couramment partie des protéines. On peut donc penser que de nombreux cycles chimiques s’y étaient déjà formé pour dissiper l’énergie solaire, cycles vraisemblablement catalysés par des silicates, des sulfures ou des oxydes métalliques.

Lors de sa formation, la Terre contient donc déjà de la matière organique. Elle ne manque pas non plus d’énergie à dissiper. Un problème vient du fait que la plupart des réactions chimiques sont réversibles. L’énergie solaire permet la photosynthèse de molécules complexes, mais son rayonnement ultraviolet les détruit. L’énergie géothermique favorise les réactions chimiques, mais un excès de température décompose les produits formés. La polymérisation (assemblage) de grosses molécules organiques dégage de l’eau, mais un excès d’eau les détruit (hydrolyse).

La vie n’a donc pu évoluer qu’en présence de gradients importants: différences d‘éclairement, différences de température, différences d’humidité. On reconnaît bien là une caractéristique des systèmes dissipatifs que nous avons vue à propos des cellules de Bénard ou des tourbillons. Ces phénomènes dynamiques ont sans doute joué aussi leur rôle en transportant les molécules complexes loin du site de leur formation. Les gradients de température, de pression, ou d’humidité devaient être particulièrement nombreux et actifs dans une terre primitive très éloignée de l’équilibre thermodynamique.

Dans cette “soupe primordiale” de nombreux cycles chimiques se disputent l’énergie disponible. On peut comparer les cycles chimiques à des entreprises industrielles dans un système capitaliste. Entre eux aussi, la compétition est sans merci. Toutefois, au hasard des rencontres, des collaborations peuvent s’établir. De même qu’un produit fabriqué par une entreprise peut être utilisé comme matière première par une autre, de même une molécule produite par un cycle chimique peut être utilisée par un autre. Les entreprises ont tendance à former des réseaux d’échanges commerciaux. De même les cycles chimiques forment des réseaux d’échanges de molécules.

Comme pour les entreprises, il y a autorégulation de la production. Nous avons vu que les cycles chimiques forment en général des boucles d’asservissement régulatrices. Si les molécules produites par un cycle restent inutilisées, elles s’accumulent. Leur accumulation déclenche l’arrêt de la production. Au contraire une molécule très demandée va être de plus en plus produite. Il y a là un phénomène d’apprentissage semblable à celui des réseaux neuronaux (algorithme d’optimisation) sur lequel nous reviendrons.

Au hasard des rencontres entre molécules de nouvelles réactions chimiques s’amorcent et de nouvelles molécules toujours plus complexes se forment. Certaines peuvent avoir des propriétés catalytiques intéressantes. C’est ainsi que peu à peu de nouveaux catalyseurs apparaissent plus efficaces que les silicates, sulfures ou oxydes métalliques. Ils sont aussi plus spécialisés. Ils se substituent petit à petit aux précédents (4). Ce sont les premiers « enzymes ».

La plupart des spécialistes s’accordent pour dire qu’une première étape vers la vie a été l’apparition du phénomène d’autocatalyse, c’est-à-dire d’un ensemble de réactions chimiques capables de reproduire ses catalyseurs. L’américain Stuart Kauffman (5) appelle un tel ensemble un ensemble autocatalytique (6). Il a montré que la probabilité de formation d’un ensemble autocatalytique croit rapidement avec le nombre de cycles chimiques en présence. Sur la Terre primitive, ce nombre était en augmentation constante. L’apparition d’un tel phénomène était donc sans doute inéluctable.

Un exemple d’ensemble autocatalytique est l’hypercycle de Manfred Eigen (7) et Peter Schuster. La figure ci-dessous montre le principe d’un tel hypercycle. Le cycle chimique I1 produit un catalyseur (ou enzyme) E1 qui catalyse le cycle I2. Celui-ci produit un catalyseur E2 qui catalyse le cycle I3 et ainsi de suite. Le dernier cycle chimique In produit le catalyseur En qui catalyse le cycle I1.

hypercycle1
Hypercycle de Manfred Eigen (8)

On a vu que les catalyseurs se reconstituent intégralement à la fin de chaque cycle chimique. A la fin d’un hypercycle chaque cycle a produit un élément de catalyseur de plus capable de catalyser le cycle suivant, ce qui double l’effectif des catalyseurs donc des hypercycles capables d’opérer simultanément. Se reproduisant à chaque cycle le nombre d’hypercycles croit en progression géométrique, c’est-à-dire exponentiellement. C’est bien une réaction en chaîne de type explosive. Cela conduit à un accroissement constant du taux de dissipation de l’énergie conformément au principe de production maximale d’entropie.

La notion d’ensemble autocatalytique s’applique aussi aux réseaux d’entreprises. Dans une entreprise, c’est le capital qui joue le rôle de catalyseur. Le capital est nécessaire pour démarrer la production, mais à la fin du cycle de production, il est régénéré par la vente du produit fini. Une chaîne de restaurants comme Mc Donald est un bon exemple d’ensemble autocatalytique. Lorsque chaque restaurant fait des bénéfices, ces bénéfices permettent de construire de nouveaux restaurants, qui faisant eux aussi des bénéfices permettent d’en construire d’autres, ad infinitum. Le nombre de restaurants a alors tendance à s’accroître comme celui des hypercycles, exponentiellement.

Il est intéressant de remarquer qu’un hypercycle autocatalytique possède déjà les deux propriétés essentielles des êtres vivants: il dissipe de l’énergie (métabolisme) et et il se multiplie (reproduction). Il lui manque cependant un élément de stabilité. Si un des maillons de la chaîne fait défaut, tout s’arrête. Pour éviter ce problème, les entreprises s’associent en signant des contrats financiers.

L’avantage du capital est qu’il est un catalyseur universel. Il est plus facile de signer un nouveau contrat financier que de fabriquer un nouveau catalyseur. Les catalyseurs manquent de versatilité. Cela rend les hypercycles fragiles. Dans notre prochain article, nous verrons comment la nature à découvert elle aussi une sorte de catalyseur universel.

(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Génération_spontanée

(2) John Maynard Smith, Eörs Szathmary, et Nicolas Chevassus-Au-Louis. Les origines de la vie. De la naissance de la vie à l’origine du language (Dunod, 2000).

(3) http://en.wikipedia.org/wiki/Murchison_meteorite

(4) Certains comme Cairns Smith pensent que le phénomène d’autocatalyse est apparu d’abord, la reproduction se faisant par l’intermédiaire des cristaux de silicates. Les enzymes seraient apparus plus tard. On parle alors de substitution génétique (genetic takeover). Voir: http://originoflife.net/takeover/index.php .

(5) http://en.wikipedia.org/wiki/Stuart_Kauffman

(6) http://en.wikipedia.org/wiki/Autocatalytic_set

(7) http://fr.wikipedia.org/wiki/Manfred_Eigen

(8) http://pespmc1.vub.ac.be/hyperc.html


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