58 – La politique du vélo

Dans mon billet précédent, j’ai dit que la plupart des gens votaient à droite ou à gauche par tradition familiale. J’ai montré qu’il fallait tenir compte des circonstances. Une économie devant être régulée (billet 54), cela impliquait la nécessité de maintenir un certain équilibre. Ainsi la Russie semblerait avoir trouvé un équilibre entre le capitalisme et le socialisme.

Lorsqu’on parle d’équilibre, on pense en général à un équilibre statique comme celui d’une balance. Lorsqu’une balance penche à droite, il faut mettre des poids à gauche pour rétablir l’équilibre. En occident, les politiques libérales ont provoqué une augmentation catastrophique des inégalités sociales, sans pour autant améliorer la croissance économique. Ma tendance a donc toujours été de voter à gauche pour rétablir l’équilibre. Ai-je eu raison?

Dans le cas d’une société dissipative il s’agit d’un équilibre dynamique et non pas statique. Qu’entend-on par équilibre dynamique? Un bon exemple d’équilibre dynamique est celui d’une bicyclette. À l’arrêt, une personne à bicyclette ne reste pas en équilibre. Elle doit mettre un pied à terre. Lorsqu’elle roule, elle reste en équilibre parce qu’elle peut compenser son déséquilibre en agissant sur sa direction. Il s’agit là d’un équilibre dynamique, c’est-à-dire avec mouvement.

Une particularité de cet équilibre est que, lorsqu’une bicyclette penche à droite, il faut tourner le guidon vers la droite pour rétablir l’équilibre. Autrement dit, il faut se diriger dans la direction où la bicyclette va tomber. En serait-il de même des sociétés humaines?

Nous avons vu qu’une société humaine tend à dissiper toujours plus d’énergie. Mais plus une société dissipe de l’énergie, plus vite son environnement évolue. Il arrive un moment où ne pouvant plus s’adapter au nouvel environnement la société s’effondre.

L’Histoire montre que les sociétés humaines tendent à s’effondrer lorsqu’une élite maintient coûte que coûte la politique qui l’a amenée au pouvoir, en dépit de l’évolution de l’environnement. C’est bien ce qui se passe de nos jours où la réponse aux excès du libéralisme est toujours plus de libéralisme. Pour corriger les conséquences d’une politique de droite nos gouvernements, quels qu’il soient, continuent à appliquer une politique de droite, risquant de conduire la société à sa chute. C’est ce que j’appelle la politique du vélo.

Dans le cas du vélo, la chute est évitée grâce à l’impulsion ainsi acquise qui permet de virer ensuite à gauche. De même une société humaine en général se ressaisit, des mouvements sociaux donnant souvent l’impulsion nécessaire au virement. Faut-il chercher à les éviter?

Après tout, nous avons vu que l’humanité évolue de façon à maximiser la vitesse à laquelle elle dissipe l’énergie. Si l’on mesure, comme le fait Frédérick Soddy, le bien être en termes d’énergie dissipée, alors l’humanité maximise la vitesse à laquelle elle produit du bien être. On ne peut nier en effet que la plupart d’entre nous vivent dans des conditions de confort que, il y a quelques siècles, des princes nous envieraient. Alors, faut-il ralentir le progrès?

Les simulations du Club de Rome montrent qu’en 1970, il était encore temps d’éviter l’effondrement de notre civilisation à condition de ralentir considérablement notre croissance économique. Ce faisant nous aurions ralenti le progrès scientifique et technique. Fallait-il le faire? Nous ne l’avons pas fait. En conséquence, l’algorithme de maximisation de l’énergie dissipée nous entraîne vers une chute temporaire qui risque d’être particulièrement douloureuse. Fallait-il l’éviter? Mais avions nous vraiment le choix? C’est la question à laquelle je tenterai de répondre dans mon prochain billet.