129 – L’origine de la culture française (suite).

Dans mon billet précédent j’ai exprimé l’idée que la culture française s’est développée au cours d’un très long cycle de 1600 ans s’étendant jusqu’à nos jours. De même que diverses variétés génétiques peuvent envahir un même territoire, il en est de même des cultures. Ainsi, venus du nord, les francs ont envahi le bassin parisien pour s’étendre ensuite plus au sud. Pendant ce temps, venant de l’ouest, une autre culture cherche à envahir notre territoire, celle des vikings devenus normands.

En 910, le roi de France, Charles III, met fin aux invasions des normands en offrant à leur chef Rollon sa fille en mariage, à condition qu’il se convertisse au christianisme et qu’il le reconnaisse, lui roi de France, comme son suzerain. Rollon accepte et se convertit. On peut comparer ce processus d’allégeance à une culture dominante au processus physique de retournement de spin en présence d’un champ magnétique dominant. On observe la formation de domaines, appelés domaines d’Ising, à l’intérieur desquels les spins sont majoritairement de même sens. De même, en Histoire, on observe la formation de domaines à l’intérieur desquels une même culture domine. Au Moyen-âge, celle-ci est imposée par les princes qui contrôlent l’armée. Ainsi, la culture dominante est celle dont l’armée dissipe le plus d’énergie. Comme pour les gènes en biologie, la culture des normands s’inclinait devant la culture des francs reconnue comme dominante.

On sait que les normands se sont ensuite tournés vers l’Angleterre où ils ont prit le pouvoir. La conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant posa un sérieux problème au roi de France Philippe 1er: son vassal Guillaume était devenu plus riche et plus puissant que lui. La culture dominante n’était plus la culture française. Le fils de Philippe 1er, Louis VI dit “le Gros” fait tout ce qu’il peut pour renforcer son pouvoir. En 1137 il marie son fils Louis à Aliénor (on dit aussi Éléonore) dite “d’Aquitaine” mais meurt peu après. Louis devient roi de France sous le nom de Louis VII dit “le Jeune”. Éléonore était duchesse d’Aquitaine et de Gascogne et comtesse du Poitou. Grâce à ce mariage, le royaume de France s’étendait jusqu’aux Pyrénées. La culture française pouvait de nouveau s’imposer face à la culture anglaise.

Mais Louis VII ne s’entendait pas bien avec Aliénor. Il aurait bien aimé avoir un fils pour lui succéder. Aliénor ne lui donna que deux filles. Il demanda le divorce. A cette époque, il fallait en faire la demande au Pape et il était bien rare qu’il accepte. Pourtant le pape accepta. Le divorce lui fut accordé en 1152. Le royaume de France y perdait la part d’Aliénor. Trois semaines plus tard, celle-ci se remariait avec le jeune Henri Plantagenêt, petit-fils de Guillaume le Conquérant. Duc de Normandie et comte d’Anjou, Henri Plantagenêt possédait aussi le Maine et la Touraine. Deux ans plus tard, à la mort de son oncle Henri Ier d’Angleterre, Henri Plantagenêt devenait roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II. Son royaume comprenait alors l’Angleterre et tout l’ouest de la France actuelle à l’exception de la Bretagne qui fut bientôt rattachée à la famille grâce au mariage de son fils Geoffroy avec la duchesse de Bretagne Constance en 1182. La culture anglaise devenait dominante dans tout l’ouest de la France. Elle allait le rester pendant 300 ans.

En l’an 1200, notre territoire avait retrouvé sa population d’avant l’effondrement de l’empire romain. Commence alors la troisième phase (de 1200 à 1600) de ce très long cycle de 1600 ans qui conduit à la France actuelle. Selon la nomenclature de Turchin et Néfédov, il s’agit d’une phase d’expansion. Celle-ci se manifeste d’abord par les départs en croisades. Puis la dissipation d’énergie augmente avec les moulins à eau et à vent. Sous l’influence de l’Italie, une nouvelle époque appelée « Renaissance » prend son essor. L’architecture cherche ses limites. L’art gothique remplace l’art roman.

Mais notre pays reste coupée en deux. L’ouest est sous contrôle de la culture anglaise tandis que l’est reste attaché à la culture française d’origine. De même que les espèces animales se battent pour répandre leurs gènes, de même les sociétés humaines se battent pour répandre leurs cultures. Cela nous conduit à une guerre dite de cent ans durant laquelle une culture venue de l’est, adoptée par les francs, allait s’opposer à une culture venue de l’ouest, imposée par les anglais.

La biologie nous apprend que des semences restées longtemps sous terre peuvent soudainement germer lorsque le climat leur est favorable. Il en est de même des cultures. On sait que la culture française d’origine finit par reprendre le pouvoir grâce à l’intervention d’une jeune paysanne nommée Jeanne d’Arc. On sait aussi que le mot « Lotharingie » a donné en français le mot « Lorraine ». Il ne faut donc pas s’étonner qu’une paysanne venue de Lorraine, Jeanne d’Arc, ait repris le flambeau de la culture française venue initialement de l’est.

Liée à Charlemagne, cette culture redevient dominante au 16ème siècle, mais ne l’emporte pas complètement. De nouvelles cultures, dites protestantes, se manifestent provoquant des guerres de religion. Né dans le sud-ouest, donc marqué par le libéralisme anglais, Henri IV met fin aux conflits avec à l’édit de Nantes (1598).

Commence alors la quatrième phase (1600 à nos jours) de ce long cycle de 1600 ans. Selon la nomenclature de Turchin et Néfédov, il s’agit d’une phase de « stagflation ». La culture française y est à son apogée avec le règne de Louis XIV. Ce dernier n’hésite pas à révoquer l’édit de Nantes (1685) et à imposer le catholicisme comme religion d’État, conduisant de nombreux protestants à l’exil.

Pendant ce temps, grâce au traité de Westphalie, l’Europe s’organise en États-nations, limitant le rôle des princes et de leurs alliances matrimoniales. C’est alors l’explosion démographique du 18ème siècle, dit le siècle des lumières. L’émancipation des peuples va conduire à la révolution française durant laquelle les protestants français retrouvent tous leurs droits. La culture française en sortira affinée grâce à un concept qui lui est propre, celui de laïcité: les problèmes de religion sont relégués au domaine privé.

Tandis que la France est le premier pays à maîtriser son explosion démographique, cette dernière se poursuit à l’échelle mondiale. Cernée par la mondialisation, la culture française entre aujourd’hui dans une nouvelle phase de crise. Saura-t’elle sauvegarder une certaine autonomie ou va-t’elle, au contraire, perdre toute sa spécificité?


11 réflexions sur « 129 – L’origine de la culture française (suite). »

  1. Toute essentialisation est par nature abusive. Au niveau des individus comme au niveau des organisations (ethnies, nations, états,…)
    L’Histoire de l’organisation « France » est intriquée dans l’Histoire mondiale. Je ne peux par faire trop long ici mais par exemple notre humanisme est partagé dans tout le monde occidental. Et il est né dans les cités-états italiennes au 16ème siècle. Mais il tire ses origines de la culture grecque antique retrouvée lorsque les lettrés de l’empire romain d’orient ont émigré en Italie après la prise de Constantinople par Mehmet III (1553). Et accompagné par l’émergence de la société moderne (autonome vs hétéronome) favorisée par les grands échanges avec l’orient à travers l’immense empire mongol et la naissance du capitalisme afférent (aux Pays-Bas et en Italie). Cet humanisme donnera également les religions protestantes plus individuantes.
    Aujourd’hui la culture des jeunes Français urbains est très largement influencée par la Californie (Hollywood, Google, Facebook,… ) et le rock britannique.
    Et après tout, cela n’a pas d’importance…

  2. « Cela n’a pas d’importance » dites-vous. Imaginez un monde avec une seule espèce animale. Lorsque cette espèce disparait, comme c’est arrivé pour les dinosaures, quelle autre espèce la remplace? Imaginez maintenant un monde avec une seule culture, disons « californienne ». Beaucoup pensent que cette culture est menacée (fin du pétrole, réchauffement climatique). Quelle autre culture la remplacera? De même que la robustesse d’un écosystème dépend de sa la diversité génétique, de même la robustesse de l’humanité dépend de sa diversité culturelle.

    1. Vous répondez sur la toute dernière partie de mon commentaire. Celui-ci visait surtout une certaine idée trop essentialiste de la culture en France (et non de la culture française donc), idée à laquelle je ne crois pas.

      Je ne puis qu’être d’accord avec vous contre toute idée unificatrice de la culture humaine. Mais je suis optimiste sur ce point, cela n’arrivera pas : la théorie du chaos nous dit que des différences infimes au départ conduisent à de grandes variations à l’arrivée. Et plus nous avançons, plus les connaissances sont telles qu’un seul individu ne peut les embrasser toutes. Deux jumeaux homozygotes sont complètement différents à la fin de leur vie…

      1. Vous dites: « la théorie du chaos nous dit que des différences infimes au départ conduisent à de grandes variations à l’arrivée. » Tout dépend de la phase de l’évolution dans laquelle vous vous trouvez.
        Comme les écosystèmes, les sociétés humaines maximisent alternativement leur efficience (sélection K) ou leur résilience (sélection r). Lorsqu’elles maximisent leur efficience, les différences de culture tendent à s’estomper. C’est le cas aujourd’hui avec la mondialisation qui fait que la culture des jeunes français est très influencée par la Californie (Hollywood, Google, Facebook,…).
        Par contre, lorsqu’une société s’effondre, ce sont les cultures les plus résilientes qui l’emportent, c’est-à-dire celles qui ont su maintenir leur diversité.

  3. Bonjour,

    Je souhaiterais apporter ma contribution à l’identification de ce qu’est la culture « Française », et de ses forces et faiblesses, non pas au travers de son parcours historique mais en exposant un certain nombre de constats contemporains

    1) La vision de Romain Gary:
    Extrait de « l’affaire homme » de Romain Gary (folio, ISBN 2-07-030759-X, page 138):

    « Dans une vieille culture comme la France, différents royaumes intellectuels – de l’Eglise à l’athéisme, de la monarchie au socialisme, sans compter littéralement des douzaines d’autres; de Voltaire à Rousseau, de Montaigne à Bergson, de Descartes à Pascal – se sont des siècles durant disputé la suprématie sans jamais y parvenir.

    Sur un pareil terrain psychologique et intellectuel, il est extrêmement difficile à une idée d’assoir son monopole ou sa domination. Il y aura toujours une particule de Voltaire pour réagir à une particule de Freud, une particule de Montaigne, de Descartes ou de Pascal pour freiner l’action d’une particule de Marx.

    Ce fromage culturel typiquement français, à base de ferments et d’ingrédients séculaires, a engendré une mentalité individuelle fortement protégée, avec ce qu’elle suppose de division sociale, de conflits, de totale absence d’unanimité, de contradiction, d’égoïsme, de mauvais goût et d’indépendance personnelle; mais du coup, il est très dur de conquérir l’esprit et l’âme d’un Français. »

  4. La culture française, c’est aussi:

    – un rapport particulier à la nourriture, à la fois curieux de découvrir les cuisines étrangères et plus exigeant que la moyenne en terme de plaisir gustatif (pour la boisson, c’est moins vrai, le Français ayant longtemps carburé au gévéor …)

    – la peur du « ciel qui nous tombe sur la tête » (Astérix ..), se traduisant, depuis très longtemps, par un taux d’épargne très élevé.

  5. Bonjour à tous

    La culture française est liée à la construction – éminemment politique – de la France au fil des siècles…

    En effet, les nombreux peuples aux cultures différentes qui l’ont constituée – à partir du ”noyau dur” qu’était la France de Clovis – étaient tous daccord pour mettre en commun les moyens de leur sécurité. C’est cela qui les a uni pour constituer ce qu’est devenue ”la France ».

    Cette sécurité est donc basée sur un consensus autour du consentement à l’impôt, en vue de garantir la sécurité du peuple français. Il s’agit là, ni plus, ni moins, d’une union basée sur l’intérêt et le développement de services publics destinés à satisfaire un besoin d’intérêt général et en premier lieu, celui d’une défense militaire commune.
    D’autres services publics ont peu à peu contribué au resserrement des liens nationaux entre les différents peuples qui ont constitué la France… On peut citer les Etabissements de Commun Profit – destinés a venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux – ainsi que l’Hopital pour aveugles des Quinze-Vingt, créés par Saint Louis sur la cassette royale, c’est-à-dire grace à l’impôt…

    Je pense donc que la France est forte d’une double-culture :

    – une culture totalement politique, basée sur la sécurité commune, qui contenait en germe l’égalité des citoyens et la laïcité;

    – une richissime culture populaire, basée sur une multitude de cultures locales différentes qui ont pu le rester au fil des siècles, malgré la centralisation parisienne.

    En ces temps troublés de jaune, cette double-culture est confrontée, sur ses deux aspects, à une menace de disparition :

    – sur le plan politique, les Français ne se sentent plus protégés par des gouvernements successifs qui appliquent les taités européens qui eux, et c’est peu de le dire, n’ont (à part Maastricht, mais seulement à 51%…) jamais reçus leur approbation…

    – sur le plan des cultures et des identités locales, où la Politique Agricole Commune tue les particularismes locaux et la ruralité par l’industrialisation, l’uniformisation et la mise aux normes des productions…, sans parler des savoir-faire industriels locaux, sacrifiés sur l’hôtel de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée et par l’interdiction faite aux États membre de protéger leur production nationale (art.63 du TFUE/Lisbonne)…
    S’ensuivent les délocalisation – on n’en parlait pas avant Maastricht – le chômage et l’appauvrissement général qui mêment à la révolte actuelle…

    J’en conclue que la culture française, sous tous ses aspects, est menacée par l’Union Européenne et la mondialisation, imposées malgré un formidable déficit de consentement populaire.

      1. @chapolin

        Je suis scié par votre argumentaire…^^

        Dans l’Histoire, lorsque des groupes humains on été totalement dépossédés de leur culture et de leur identité, c’était pour en faire des esclaves. Pensez-vous que l’esclavage ait été un élément indispensable pour le progrès humain ?

        Dotée d’un pouvoir de création monétaire et d’un pouvoir de corruption illimités et par conséquent, plus riche et plus puissante que les gouvernements eux-mêmes, une petite oligarchie apatride gouverne déjà l’humanité.

        Aujourd’hui, le village gaulois de la planète, c’est Moscou, Pékin et les gilets jaunes, quand ces derniers auront réussi à mettre les mots justes sur leurs maux et ça ne saurait tarder…

        «Pour Thierry Meyssan, en se dressant contre leurs institutions, les Français sont le premier peuple occidental à prendre des risques personnels pour s’opposer à la globalisation financière. Bien qu’ils n’en aient pas conscience et imaginent encore que leurs problèmes sont exclusivement nationaux, leur ennemi est le même que celui qui a écrasé la région des Grands lacs africains et une partie du Moyen-Orient élargi. Seuls les peuples qui comprendront la logique qui les détruit et la rejetteront pourront survivre à la crise existentielle de l’Occident.»

        http://www.voltairenet.org/article204180.html

        Le vent tourne… même au Figaro !

        http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2018/12/06/31001-20181206ARTFIG00209-gilets-jaunes-macron-a-les-pieds-et-les-poings-lies-par-l-union-europeenne.php

    1. Je souhaite réagir à la phrase: « J’en conclus que la culture française, sous tous ses aspects, est menacée par l’Union Européenne et la mondialisation, imposées malgré un formidable déficit de consentement populaire. »

      Jean Baudrillard dans Power Inferno (2002) écrivait quelque chose de très proche:

      « Il ne s’agit donc pas d’un choc des civilisations, mais d’un affrontement, presque anthropologique, entre une culture universelle indifférenciée et tout ce qui, dans quelque domaine que ce soit, garde quelque chose d’une altérité irréductible. Pour la puissance mondiale, tout aussi intégriste que l’orthodoxie religieuse, toutes les formes différentes et singulières sont des hérésies… La mission de l’Occident (ou plutôt de l’ex-Occident, puisqu’il n’a plus depuis longtemps de valeurs propres) est de soumettre par tous les moyens les multiples cultures à la loi féroce de l’équivalence.»

      Je partage également cette analyse

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