88 – Une suite logistique naturelle?

Un lecteur aura peut-être remarqué l’analogie entre la suite des α(i) du billet précédent et la suite logistique décrite dans mon billet 20:

Xi+1 = μ.Xi.[1-Xi]        (1)

Avec la même notation, la suite du billet précédent s’écrit:

Xi+1 = -μ.Xi.log Xi     (2)

Les deux fonctions X(1-X) et -X.log(X) ont un aspect tout à fait similaire pour X compris entre 0 et 1. La première est symétrique. Elle représente un arc de parabole avec un maximum égal à 1/4 pour X=1/2. La seconde est légèrement dissymétrique et passe par un maximum égal à 1/e pour X=1/e. On peut donc s’attendre à ce que les suites (1) et (2) aient un comportement analogue. À ma connaissance, personne ne l’a encore vérifié. Aussi ai-je profité d’un séjour à la neige avec mon fils ainé [1] pour lui demander de le vérifier. Mes lecteurs auront la primeur du résultat.

Les deux figures ci-dessous montrent la limite X de la suite en fonction du paramètre μ, la première dans le cas de la fonction logistique de Verhulst, la seconde dans le cas de la fonction d’Ulanowicz. On constate que l’allure générale est la même, avec toutefois une différence notable. Au lieu de démarrer à μ = 1, la courbe de la figure 2 démarre à μ = 0. Que cela signifie-t-il physiquement?

Les deux courbes correspondent à des modèles physiques notablement différents. Le modèle de Verhultz s’applique à une structure dissipative (originellement une société) dont l’organisation ne change pas, mais dont les ressources énergétiques diminuent. Le modèle d’Ulanowicz s’applique à une structure dissipative (originellement un écosystème) dont l’organisation évolue sans cesse et s’adapte à son environnement.

Il s’agit de deux conceptions radicalement différentes. La population de Verhultz ne se développe qu’en présence de ressources appropriées. Celle d’Ulanowicz s’adapte aux ressources disponibles. Le fait même de pouvoir s’adapter implique un rendement infini à l’origine (voir billet précédent). La population de Verhultz s’éteint lorsque ses ressources sont épuisées. La population d’Ulanowicz s’effondre dans la mesure ou elle ne s’adapte pas assez vite à d’autres ressources.

Le modèle d’Ulanowicz est clairement plus proche de la réalité. La fin du pétrole n’implique pas la fin de l’humanité. Elle implique un effondrement de nos sociétés actuelles dans la mesure où celles-ci ne développent pas assez vite de nouvelles ressources. On retrouve une fois de plus l’importance de la notion d’entropie par rapport à celle d’énergie. Une société ne s’effondre pas parce qu’elle épuise ses ressources en énergie mais parce qu’elle n’acquiert pas assez vite l’information nécessaire pour renouveler ses ressources, c’est-à-dire elle n’élimine pas assez vite l’entropie qu’elle produit [2][3].

[1] Nicolas Roddier (Tachysséma)

[2] François Roddier, dans Politiques de l’Anthropocène II. Économie de l’après-croissance, (Éd. SciencesPo). Chapitre 10: Pourquoi les économies stagnent et les civilisations s’effondrent.

[3] Jacopo Simonetta. The other side of the global crisis: entropy and the collapse of civilisations.

 

evol1Fig. 1. Suite de Verhultz

evol2Fig. 2. Suite d’Ulanowicz


7 réflexions sur « 88 – Une suite logistique naturelle? »

  1. Bonjour Monsieur Roddier

    Si j’ai bien compris, notre société ne crée pas suffisamment d’informations pour recycler ses déchets, sa concentration monétaire, pour développer une structure sociale capable de développer les ressources renouvelables.
    Pourtant il y a de plus en plus de gens qui seraient prêts à y participer, d’où l’ntérêt d’une monnaie « froide » et d’un revenu « froid » qui permettrait l’évacuation de l’entropie que constitue nos déchets et la concentration monétaire.
    On pourrait évacuer cette entropie vers la recherche de nouvelles ressources en recyclant ces déchets.
    C’est ce qu’à fait la nature en inventant les feuillus il me semble.

  2. Merci de nous avoir fait prendre conscience et de nous avoir éclairé sur les lois de l’univers.

    « L’humanité sera enfin capable de prendre en charge son destin et d’atténuer ses souffrances »
    A partager et sans modération

    Merci pour cette soirée très enrichissante

  3. Je ne reviens pas sur nos précédents échanges.

    Quelle sens peut avoir, dans l’approche thermodynamique que vous proposez, un évènement (ou plusieurs) comme une pandémie (Ebola, Borelia, grippes HiNj qu’importe) ?

    1. C’est une des façons dont la nature résout ses problèmes de surpopulation (l’analogue des feux de forêt), c’est-à-dire retourne vers le chaos (voir article 46).

  4. Bonjour Mr Roddier,

    si vous ne connaissez pas, je vous invites à découvrir la théorie constructale.

    Sa formulation ressemble beaucoup à la 3ème loi de la dynamique, donc rien de nouveau pour vous :
    « Pour qu’un système fini puisse persister dans le temps, il doit évoluer de manière à offrir un accès facilité aux flux qui le traversent »

    Mais c’est surtout son application qui est fascinante.
    Elle permet d’expliquer « comment » fonctionnent les phénomènes émergents.
    Pourquoi les oiseaux volent dans telle ou telle formation.
    Pourquoi les arbres ont une forme d’arbre.
    Pourquoi nos poumons ont 14 embranchements depuis la trachée jusqu’aux alvéoles.
    Etc…

    http://constructal.org/

    PS : un texte introductif assez bien fait :
    https://sites.google.com/site/gedsynthesis/time-tracker/science-et-vie/n-1034-nov-2003-une-theorie-explique-l-intelligence-de-la-nature-etc/p44—une-theorie-explique-l-intelligence-de-la-nature#TOC-La-th-orie-constructale-cl-des-formes-parfaites

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