109 – La destruction créatrice de Schumpeter

L’économiste autrichien Joseph Shumpeter est né en 1883, la même année que Keynes. En 1927, il émigre aux États-Unis où il enseigne à Harvard. Ni capitaliste, ni marxiste, il se veut au dessus de la mêlée. Il est considéré aujourd’hui comme un emblème de la pensée évolutioniste en économie.

Schumpeter s’intéresse aux travaux de Kondratiev sur les cycles économiques. Pour lui, les innovations sont le moteur de l’économie mais elles entraînent des changements sociaux (modifications du mode de vie) qui font que la société doit constamment se réadapter. Schumpeter compare cet effet à une «tornade» et parle de «destruction créatice».

Dans le cadre restreint de l’économie, on peut dire que Schumpeter a découvert l’effet d’une structure dissipative sur son environnement: effet qui conduit au processus de criticalité auto-organisée. C’est le processus d’évolution aussi bien des cyclones que des espèces en biologie mais, les disciplines étant cloisonnées, qui sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un processus universel?

En octobre 1973, c’est la guerre dite du kippour. Les membres de l’OPEP déclarent un embargo sur les livraisons de pétrole. On parle de choc pétrolier: le prix du pétrole augmente et ne reviendra plus jamais aux valeurs des années précédentes. C’est le début d’une crise économique en Europe: l’économie stagne.

Un économiste allemand Gerhard Mensch s’intéresse au problème. Disciple de Schumpeter, il conduit une étude statistique sur les innovations. Il montre que celles-ci ne sont pas uniformément distribuées dans le temps, mais arrivent par paquets. Il publie les conclusions de son étude en 1975. Une traduction anglaise de son livre parait en 1979 sous le titre «Stalemate in Technology» (Ballinger).

Ce livre est intéressant parce qu’il compare l’évolution technologique à l’évolution biologique. Il ignore cependant la théorie des équilibres ponctués de Niles Elredge et Stephen Jay Gould publiée en 1972. Ce livre est surtout intéressant parce qu’il comprend que l’évolution cyclique de l’économie ne peut pas être représentée par une sinusoide: la production économique ne peut que croître ou s’effondrer. Il représente l’évolution économique par une suite de sigmoïdes se recouvrant partiellement. Pour lui, la phase où les sigmoïdes se recouvrent est une phase de «métamorphose» durant laquelle on passe d’une économie à la suivante.


L’évolution économique selon Gerhard Mensch

Je reproduis ici le modèle économique de Mensch auquel il a donné le nom de «metamorphosis model». Le lecteur pourra comparer ce modèle avec les cycles autour du point critique représentés sur la figure du billet 107. On retrouve la même zone de recouvrement entre les flèches marquées a et b délimitant la zone appelée «crises».

Il est bon de rappeler que, pour les différentes phases d’un même cycle, j’utilise ici la nomenclature des historiens (Turchin et Nefedov) et non pas celle actuelle des économistes qui est différente. Ainsi, pour les historiens qui sont sensibles à la sociologie, l’année 1914 fait partie d’une phase de crise, tandis que pour les économistes c’est 1929 qui en fait partie!

Je termine ce billet en rappelant que l’étude de Mensch a été conduite durant une phase de crise économique liée au choc pétrolier. Et pourtant, à aucun moment il ne vient à l’idée de Mensch que la stagnation de l’économie des années 70 ait pu être causée par une augmentation du prix du pétrole. Je pense que, pour le lecteur de ce blog, la relation est devenue évidente.

Pourtant, encore de nos jours, la plupart des économistes ne font aucune différence entre des ressources naturelles comme le cuivre et le pétrole. Il est vrai que l’épuisement de l’un comme de l’autre suscite des problèmes économiques. Cependant le pétrole est une réserve d’énergie en stock, tandis que le cuivre ne l’est pas.


11 réflexions sur « 109 – La destruction créatrice de Schumpeter »

  1. Bonsoir. Je me demandais : est-ce que vous avez parlé de vos analyses à des économistes « attitrés  » ? Ce serait intéressant de savoir ce qu’ils en pensent ….
    cordialement

    1. C’est en cours, mais il n’y a pas beaucoup d’économistes « attitrés » familiers avec les lois de la thermodynamique, d’autant plus qu’il s’agit de thermodynamique hors-équilibre appliquée à la biologie.

  2. Salut,
    À propos de « Je termine ce billet en rappelant que l’étude de Mensch a été conduite durant une phase de crise économique liée au choc pétrolier. Et pourtant, à aucun moment il ne vient à l’idée de Mensch que la stagnation de l’économie des années 70 ait pu être causée par une augmentation du prix du pétrole. Je pense que, pour le lecteur de ce blog, la relation est devenue évidente. ».
    Comme le prix du pétrole n’est pas corrélé avec sa production il me semble qu’il serait plus juste de faire le lien avec la quantité disponible. De plus si nous regardons la quantité disponible par individu vivant je pense que nous aurons un bon indicateur. Non ?
    Cordialement,

    1. Le pétrole à un cout énergétique d’extraction, s’il devient supérieur à la quantité d’énergie fournie par son utilisation, son extraction n’est plus justifiée. Quelles que soient les réserves, sa valeur ne reposera plus que sur les nécessités pétrochimiques soit le cout en énergies renouvelables nécessaires pour l’extraire Vs la demande de l’industrie pétrochimique. Ce jour là il sera devenu du cuivre 😉

  3. Vous écrivez : « Dans le cadre restreint de l’économie, on peut dire que Schumpeter a découvert l’effet d’une structure dissipative sur son environnement: effet qui conduit au processus de criticalité auto-organisée. C’est le processus d’évolution aussi bien des cyclones que des espèces en biologie mais, les disciplines étant cloisonnées, qui sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un processus universel? »
    C’est bien le processus universel de l’évolution que nous constatons:la lave brûlante du volcan détruit tout sur son passage et fertilise le sol qui vingt après sera couvert à nouveau d’une végétation luxuriante,l’incendie réduit la forêt en cendres et elle renaît plus belle,les plaques tectoniques élèvent des Everest et l’érosion les ramènent à l’océan.Notre planète s’est transformé à plusieurs reprises en boule de glace et la vie a repris foisonnante après chaque épisode.
    Devenant de plus en plus complexe et accumulant la connaissance.
    Schumpeter dit que la destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme .Ceci me fait revenir à l’esprit un article d’Albert Einstein écrit en 1949 intitulé « Why socialisme? » dans lequel il explique que l’économie ,au même titre que l’astrophysique,est une science mais il fait les réserves,voici son texte: »Let us first consider the question from the point of view of scientific knowledge. It might appear that there are no essential methodological differences between astronomy and economics: scientists in both fields attempt to discover laws of general acceptability for a circumscribed group of phenomena in order to make the interconnection of these phenomena as clearly understandable as possible. But in reality such methodological differences do exist. The discovery of general laws in the field of economics is made difficult by the circumstance that observed economic phenomena are often affected by many factors which are very hard to evaluate pseparately. In addition, the experience which has accumulated since the beginning of the so-called civilized period of human history has—as is well known—been largely influenced and limited by causes which are by no means exclusively economic in nature. For example, most of the major states of history owed their existence to conquest »
    L’économie est une science qui doit être au service de l’homme et je vous livre la conclusion de l’article d’Einstein :

    « The individual is able to think, feel, strive, and work by himself; but he depends so much upon society—in his physical, intellectual, and emotional existence—that it is impossible to think of him, or to understand him, outside the framework of society. It is “society” which provides man with food, clothing, a home, the tools of work, language, the forms of thought, and most of the content of thought; his life is made possible through the labor and the accomplishments of the many millions past and present who are all hidden behind the small word “society.”
    J’ai lu votre livre avec énormément d’intérêt et je le consulte toujours.il fournit une base de réflexion qui sera utile longtemps et je vous en remercie.

    1. Je pense qu’il est bon de toujours préciser que l’économie est une science sociale, pour la cantonner dans son domaine et non dans celui des sciences dites dures comme les mathématiques ou, en l’occurrence, la thermodynamique. C’est bien celle-ci qui est à l’œuvre derrière l’ensemble des process. La lutte entre l’information et l’entropie doit être précisée lors de chacune des décisions qui engagent l’humanité. Faute de quoi, moins de 3 siècles dessineront une forme d’impasse dans l’histoire de l’évolution de la planète Terre.
      Cordialement

  4. Bonjour à tous ,
    Petite anecdote marrante qui m’est arrivée aujourd’hui :
    En allant faire les courses au magasin Bio à côté de chez moi , je discute avec le vendeur sur les qualités des algues . La conversation avançant , il me fait une petite blague sur la physique quantique .Je le relance sur le sujet pour le découvrir passionné de de physique et de sociologie . Je me permet donc de lui parler de thermodynamique et à ma grande surprise il me parle d’ un excellent ouvrage qu’il a lu dernièrement à ce sujet : »thermodynamique de l’ évolution » d’un certain Francois Roddier . Avec un grand sourire ,nous nous sommes serré la main et il m’ a fait dix pour cent de réduction sur mes courses 🙂

  5. Bonjour Monsieur Roddier,
    En cette période de grande incertitude beaucoup,dont je suis,ressentent le besoin de s’appuyer sur l’opinion des hommes de science dont l’honnêteté intellectuelle ne peut être mise en doute.L’économie est au cœur des débats politiquesLes chiffres de la répartition des richesses disent que 1% de l’humanité détient autant que les 99 %
    réunis étendu montant dans la pyramide on constate que huit fortunes à elles seules possèdent autant que la moitié de l’humanité .En suivant le principe de criticalité auto organisée est il possible de mettre en diagramme la logique évolutive de l’économie,le 1/% actuel semble pouvoir être mis en rapport avec l’organisation En centuries de l’empire romain en tenant compte de la démographie de l’époque par rapport à celle de notre civilisation actuelle de même que le territoire continental romain et l’échelle mondiale de notre civilisation.En terme de criticalité est il possible de tirer des conclusions du rapport de répartition de un pour un milliard auquel nous a porté le système économique ultra libéral en cours ?Peut on faire des estimations sur la durée probable de vie de notre civilisation en la comparant avec le millénaire de durée de l’Empire de Rome.?

  6. Bonjour
    vos billets sont très intéressants, très explicites et surtout la transversalité des domaines y est plus qu’appréciable. Faute de culture et de bon sens, nous sommes plus que cloisonné dans des domaines de connaissances qui deviennent de plus en plus riches en données expérimentales, mais se trouvent dans l’aporie des interprétations intersubjectives.

    Ceci dit j’ai une question qui me taraude, en tant qu’astrophysicien, vous connaissez les répartitions de matière, matière noire et énergie sombre. Pouvez – vous s’il vous plait m’éclairer sur le fait que nous disons toujours que la matière l’a emporté sur tout le reste, alors qu’elle ne représente qu’ environ 5% du total. La matière noire environ 25% et l’énergie sombre environ 70%. Ces rapports ont -ils toujours été auparavant proportionnels à ces données en chiffres ?
    Cordialement

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