Archives mensuelles : juillet 2014

69 – Pourquoi sommes-nous paresseux?

On me pose souvent des questions de ce genre. La nature nous a créé pour dissiper l’énergie. Le principe de production maximale d’entropie (MEP) implique que, par unité de temps, nous dissipions le plus d’énergie possible. Alors pourquoi avons-nous tendance à être paresseux?

La réponse est que nous sommes soumis à des contraintes: nos forces sont limitées. La seule façon que nous ayons de dissiper davantage d’énergie est de le faire le plus efficacement possible afin de gagner du temps.

Je prendrai un exemple concret. Un promeneur longe une rivière. Il voit une personne un peu plus loin en train de se noyer. Il faut aller la secourir. Il va d’abord courir vers la rivière puis nager vers le noyé. Va-t’il y aller en ligne droite? On court plus vite sur terre que l’on ne nage dans l’eau. On a donc intérêt à rester plus longtemps sur la rive que dans l’eau. La trajectoire optimale n’est pas la ligne droite mais une ligne brisée faite de deux segments de droites l’une sur terre plus parallèle au rivage, l’autre dans l’eau plus perpendiculaire à celui-ci. C’est la trajectoire qui permettra d’atteindre le noyé le plus rapidement possible. C’est aussi celle qui demande le moins de dépense d’énergie, donc celle de l’individu paresseux. Ainsi nous serions paresseux pour être efficaces.

Il se trouve que le même problème se pose pour la lumière. Un photon se propage plus vite dans l’air que dans l’eau. La trajectoire la plus rapide est cette même ligne brisée donnée par les lois de la réfraction. Ainsi la lumière prend toujours le chemin le plus rapide pour aller d’un point à un autre. Les photons, eux aussi, sont des paresseux. Les étoiles dissipent leur énergie sous forme d’ondes électromagnétiques. La plupart de l’énergie de l’univers se dissipe ainsi. On voit que les lois de l’électromagnétisme sont bien conformes au principe de production maximale d’entropie.

On retrouve le même phénomène en mécanique, sous le nom de principe de moindre action. Le mouvement d’un corps matériel livré à lui-même est dans l’immédiat celui qui minimise sa dépense (ou maximise son acquisition) d’énergie cinétique. Ainsi lorsqu’on lâche une pierre, elle tombe verticalement car c’est le mouvement qui maximise son acquisition d’énergie cinétique. Les pierres aussi sont des paresseuses, elles tombent. Dans l’air, il y a des frottements. En maximisant l’acquisition d’énergie cinétique, le mouvement va maximiser la dissipation d’énergie due aux frottements. Les lois de la mécanique sont donc bien conformes au principe de production maximale d’entropie.

On voit que maximiser une quantité implique souvent d’en minimiser une autre. Cela prête souvent à confusion. Ainsi une structure dissipative minimise son entropie interne pour en maximiser sa production externe.

On peut comparer l’entropie à de la poussière. Celle-ci tend à s’accumuler sur place. Une structure dissipative est comme une ménagère qui balaie la poussière de sa maison pour l’envoyer vers l’extérieur. Le problème est que la poussière va chez le voisin. C’est ce qui se passe dans une société de compétition. La sélection naturelle favorise celui qui dissipe le plus d’énergie, c’est-à-dire celui qui balaie le plus vite. Il finit rapidement par l’emporter en polluant tous les autres, d’où une montée rapide des inégalités.

C’est pourquoi les hommes s’unissent pour former des sociétés à l’intérieur desquelles chacun coopère pour balayer ensemble l’entropie à l’extérieur de la société. C’est alors la société qui balaie le plus vite qui l’emporte sur les autres sociétés jusqu’au moment où c’est toute la planète qui est polluée. Il ne reste plus alors à l’humanité qu’à s’unir pour envoyer de concert l’entropie vers l’espace sous forme de rayonnement infrarouge. C’est ce vers quoi elle s’achemine peu à peu.