Pendant longtemps un certain nombre de phénomènes physiques ont intrigué les physiciens car ils semblaient contraire au second principe de la thermodynamique. Ces phénomènes, qualifiés de dissipatifs par Ilya Prigogine <a href= »http://www.philo5.com/Les vrais penseurs/03 – Ilya Prigogine.htm »>(1)</a>, apparaissent toujours dans des systèmes traversés par des flux importants d’énergie. C’est le cas par exemple de l’apparition spontanée de mouvements ordonnés dans un fluide soumis à des différences de température ou de pression. La diminution d’entropie observée est en fait compatible avec le second principe parce que ces systèmes ne sont pas isolés, mais le second principe ne les explique pas. Nous allons voir ici comment le principe de production maximale d’entropie les explique avant d’aborder son application au phénomène plus compliqué qu’est la vie.
En 1900, dans son mémoire de thèse intitulé “Les tourbillons cellulaires dans une nappe liquide”, Henri Bénard, alors étudiant à la Sorbonne, mettait en évidence l’apparition de cellules hexagonales régulières dans un film d’huile dont les deux surfaces sont soumises à une forte différence de température. Ces cellules rappellent étrangement des structures créées par des êtres vivants comme les nids d’abeilles ou les cellules animales ou végétales. À cette époque on pensait que seuls les êtres vivants pouvaient créer de telles structures.
Ces cellules, appelées depuis cellules de Bénard <a href= »http://fr.wikipedia.org/wiki/Cellules_de_Bénard « >(2)</a>, sont des cellules convectives à l’intérieur desquelles l’huile circule comme l’eau dans une casserole sur le feu. Chauffé par en dessous, le liquide se dilate. Il devient donc moins dense et monte à la surface où il se refroidit avant de redescendre autour de la cellule. Ce phénomène se produit naturellement à la surface du soleil. C’est la granulation solaire <a href= »http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/planete/video.php?film=42&debit=1″>(3)</a> découverte par Janssen <a href= »http://www.cosmovisions.com/Janssen.htm »>(4)</a> en 1889. Moins réguliers que les cellules créées par Bénard, les granules solaires sont environ deux cent millions de fois plus grand, un rapport de taille plus grand que celui d’une bactérie à un éléphant. Ainsi un même processus physique peut produire des phénomènes analogues à des échelles extrêmement différentes.
Cellules de Bénard |
Il s’agit bien d’un système traversé par un flux important d’énergie, ici un flux de chaleur. Lorsque la différence de température est faible, la chaleur se propage par conduction: l’agitation des molécules se propage simplement par collisions d’un molécule à une autre sans déplacement du fluide. Lorsque la différence de température devient plus élevée, un nouveau moyen de transport de la chaleur apparaît: la convection. Il y a apparition d’un mouvement d’ensemble ordonné des molécules. La diminution d’entropie liée à cette apparition d’ordre est entièrement compensée par la dissipation plus élevée de chaleur à la surface du fluide.
Il y a en fait compétition entre deux moyens de transport de l’énergie: la conduction et la convection. Lorsque le flux de chaleur est important, la conduction n’est plus assez efficace pour transporter l’énergie. L’individualisme des molécules ne paie plus et, l’union faisant la force, la convection l’emporte. D’une façon générale, c’est toujours le moyen de transport le plus efficace qui l’emporte puisqu’il dérobe l’énergie aux autres. Le résultat est bien une évolution vers un maximum de dissipation d’énergie, conformément au principe de production maximale d’entropie.
Ce n’est pas par hasard si les cellules de Bénard font instinctivement penser à des phénomènes liés à la vie. Comme tous les phénomènes dissipatifs, elles en possèdent au moins trois caractéristiques:
<ul>
<li>
a) Le métabolisme: les cellules de Bénard ne subsistent que si elles sont constamment alimentées en énergie. Lorsque l’apport d’énergie cesse, elles disparaissent comme un individu meurt lorsqu’il n’est plus alimenté.</li><li>
b) Le comportement imprévisible: la position, le nombre ou la forme exacte des cellules de Bénard varient d’une expérience à une autre comme les cellules diffèrent entre deux individus d’une même espèce. </li><li>
c) La sélection naturelle: un changement de régime comme le passage de la conduction à la convection porte, en hydrodynamique, le nom de bifurcation. Nous verrons que c’est un mécanisme tout à fait analogue à celui de l’apparition de nouvelles espèces animales ou végétales. Les cellules de Bénard ne peuvent se développer que dans des conditions où elles l’emportent sur un phénomène dissipatif concurrent comme la conduction. C’est le mécanisme même de la sélection naturelle découvert par Darwin.</li></ul>
Lorsque le transport de chaleur se fait par conduction, les molécules du fluide situées près de la surface chaude ne reçoivent aucune information sur ce qui se passe près de la surface froide. Elles se contentent de transmettre par collision de l’énergie cinétique aux molécules voisines sans “savoir” ce qu’il s’y passe ailleurs. L’énergie se transmet ainsi de proche en proche jusqu’à la surface froide.
Lorsque la convection s’établit, les molécules qui se sont refroidies près de la surface froide redescendent vers la surface chaude. Elles y apportent donc une information sur la température de la surface froide. Une communication s’établit. Si un changement de température survient au niveau de la surface froide, l’information est aussitôt transmise au niveau de la surface chaude où les molécules réagissent en conséquence. C’est ainsi qu’une diminution de la différence de température entraîne une diminution de la différence de densité entre le fluide ascendant et descendant donc une diminution de la convection. Inversement, une augmentation de la différence de température se traduit par une augmentation de la convection, qui elle-même tend à réduire cette différence de température.
Ce phénomène de régulation thermique est caractéristique d’une boucle d’asservissement qui s’est formée ainsi naturellement. C’est elle qui maintient l’ordre et la régularité du mouvement. Elle est responsable de la diminution locale d’entropie. Le cycle de la matière dans une cellule convective est tout à fait analogue au cycle du fluide dans une machine thermique comme le cycle de Carnot. Une caractéristique souvent oubliée des machines de Carnot est qu’elles nécessitent toutes un asservissement. Dans la machine de Denis Papin, un opérateur devait intervenir pour régler l’admission de la vapeur dans le cylindre. C’est James Watt qui automatisa non seulement l’admission de la vapeur dans le cylindre mais aussi la vitesse de rotation grâce à son régulateur à boules. Les moteurs de voiture actuels doivent leur rendement à d’innombrables boucles d’asservissement.
Les boucles d’asservissement sont à la base de l’automatique et de la cybernétique <a href= »http://fr.wikipedia.org/wiki/Cybernétique »>(5)</a>, science qui conduit à l’intelligence artificielle. Elles caractérisent les mécanismes d’apprentissage des êtres vivants, mécanismes qui se traduisent par l’apparition de la conscience. On peut définir la conscience comme la faculté de s’inclure soi-même dans son modèle interne du monde extérieur, ce qui est une sorte de boucle d’asservissement. On admet généralement que le passage du non-conscient au conscient est progressif. Il y a donc plusieurs degrés de conscience.
La conscience apparaît comme une propriété globale qui semble émerger chez les êtres vivants évolués. Le degré de conscience pourrait donc être une mesure de la complexité d’un système cybernétique. Pour moi, l’unité de conscience est une boucle d’asservissement élémentaire, comme le bit est une unité d’information. Sans voir, comme Teilhard de Chardin <a href= »http://www.richmond.edu/~jpaulsen/teilhard/citation.html « >(6)</a>, de la conscience partout y compris dans une pierre, je dirais qu’une cellule de Bénard a déjà un degré de conscience élémentaire. Elle est consciente d’une différence de température et réagit en conséquence.
(1) Voir par exemple:
http://www.philo5.com/Les%20vrais%20penseurs/03%20-%20Ilya%20Prigogine.htm
(2) Voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Cellules_de_Bénard
(3) Voir l’animation:
http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/planete/video.php?film=42&debit=1
(4) Voir par exemple: http://www.cosmovisions.com/Janssen.htm
(5) Voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Cybernétique
(6) Teilhard de Chardin, Le phénomène humain (Seuil, 1970).
Voir aussi : http://www.richmond.edu/~jpaulsen/teilhard/citation.html
(7) Illustration tirée du livre: Into the cool, E. D. Schneider and D. Sagan (Univ. of Chicago Press, 2005). D’après: Koschmieder, E. L., Bénard cells and Taylor vortices (Cambridge Univ. Press).
Le lien philo5 du billet étant rompu, voici un lien actuellement actif:
http://www.philo5.com/Les%20vrais%20penseurs%20de%20notre%20temps.htm
Je trouve passionnant et assez fascinant de voir comment deux penseurs ayant des visions du monde aussi différentes que Prigogine et Thom puissent s’accorder autant dans leurs conclusions. Cela me conforte dans l’idée que le raisonnement par analogie, pourtant interdit (pourquoi?) par le péremptoire « comparaison n’est pas raison », a de beaux jours devant lui.
Si des analogies profondes existent entre biologie et sociologie, ce que je crois avec Roddier et Thom, alors l’évolution biologique se doit d’être lamarckienne. Car l’évolution des sociétés l’est (ou devrait l’être…): les sociétés s’organisent « pour » et non « parce que », ce ne sont pas les logisticiens qui me contrediront.
A propos des rubriques 1,2,3,4 (au moins), on pourra méditer la citation suivante de Thom: « En quoi l’appel au hasard pour expliquer l’évolution serait-il plus scientifique que l’appel à la volonté du Créateur?
En lisant l’épilogue du lien ci-dessus je suis tombé sur:
« Aux grandes percées conceptuelles des années vingt, comme la relativité et la mécanique quantique, a succédé l’incertitude qu’exprime bien la « science du chaos » définie par Prigogine — ce que René Thom* considère plutôt comme le « chaos de la science ». »
Les points de vue semblent irréconciliables. La symétrie du jeu de mots laisse cependant peut-être poindre une symétrie plus profonde qui permet d’entrevoir la possibilité d’une synthèse.
Prigogine part de la diversité (chaos post big-bang?) et propose une théorie unificatrice. Thom part de l’unité et propose une théorie des scissions.
Dans la logique thomienne il est naturel de s’intéresser d’abord aux dynamiques de gradient. Il me semble que, dans une logique prigoginienne, il soit naturel de s’intéresser d’abord aux dynamiques hyperboliques.
* Je n’ai jamais compris pourquoi certains essayent d’accréditer l’idée que Thom est le père de la théorie du chaos:
« Le parcours de René Thom est celui des plus grands mathématiciens du 20ème siècle. Normalien, membre de l’IHES, médaillé Fields, il est le père fondateur d’une branche entière des mathématiques modernes: « la théorie du chaos ».
http://www.les-mathematiques.net/histoire/histoire_thom.php
Sa classification des catastrophes, en théorie des bifurcations, est aujourd’hui une composante essentielle de la théorie du chaos, en dynamique non linéaire. En physique, les replis de surfaces sont à la base du mécanisme de production d’entropie.
Je ne suis pas de la partie, loin de là. Mais j’ai entendu dire que les idées de Thom commencent à pénétrer la physique (l’hydrodynamique en particulier). Peut-être pénétreront-elles un jour la biologie et les sciences humaines?
Je ne suis pas certain que Thom aurait apprécié de passer à la postérité comme le père de la théorie du chaos. Il suffit de lire ce qu’il en dit dans son article « La boîte de Pandore des concepts flous » (sans compter « Halte au hasard, silence au bruit ») et en conclusion de l’envoi de « Apologie du logos »:
« A une époque où fleurissent de partout les apologistes du Chaos, on peut trouver préférable d’explorer certaines faces -encore trop peu connues- du logos. »
Mais sans doute, quand vous parlez de la théorie du chaos, vous pensez à la théorie des systèmes dynamiques déterministes sensibles aux variations des conditions initiales, communément appelée théorie du chaos déterministe (bel oxymore). Là encore je ne suis pas convaincu que Thom aurait accepté d’être le père de cette théorie, place qui revient plutôt, il me semble, à Smale.
A François Roddier. A propos des cellules de Bénard et d’autres phénomènes dissipatifs, vous décrivez : « l’apparition spontanée de mouvements ordonnés dans un fluide soumis à des différences de température ou de pression ».
Le terme « spontané » me semble un peu exagéré. En effet, dans n’importe quelle casserole d’eau placée sur une flamme, il y a un « un fluide soumis à des différences de température », mais il n’y a pas « l’apparition spontanée de mouvements ordonnés ».
Les cellules de Bénard supposent la mise en place expérimentale du « dispositif de Bénard ».
Dispositif de Bénard
Le dispositif de Bénard est le dispositif expérimental avec lequel Henri Bénard (1874-1939) a engendré des cellules de Bénard dans un fluide en convection.
Le dispositif de Bénard est une traduction expérimentale de la nécessaire opposition entre une source chaude et une source froide, exprimée dans le théorème de Carnot.
Contrairement à une casserole d’eau bouillante, le dispositif de Bénard contraint le fluide en imposant une température de la source chaude et une température de la source froide.
Abus de langage. Les cellules de Bénard « apparaissent spontanément », pourvu que l’on mette en place ce dispositif, qui n’a rien de « spontané ».
Comme dirait Fernand Reynaud, ce n’est pas spontané, « c’est étudié pour ».
Comme toujours, le vocabulaire choisi traduit l’univers intellectuel de l’époque où il a été forgé.
Bénard a été surpris, parce qu’il pensait que ce genre de « cellules » n’apparaissait que dans le monde vivant (cellule animale, cellule végétale).
Dans le même temps, le dispositif de Bénard (comme l’expérience de Stanley Miller, en 1953) a justement établi un pont entre la Physique et la Biologie. La découverte desdites cellules a aboli certains préjugés philosophico-religieux obsolètes.
« Les cellules de Bénard sont un concept relatif à la convection qui désigne un phénomène observé en 1900 lors d’une expérience simple réalisée par Henri Bénard, un physicien français. Ce sont des cellules de convection qui apparaissent spontanément dans un liquide quand on lui applique une source de chaleur extérieure. Elles illustrent la théorie des systèmes dissipatifs, d’une façon simple et aisément compréhensible. La formation de ces structures convectives résulte de la déstabilisation du milieu fluide dans le cadre de l’instabilité de Rayleigh-Bénard. Pour réaliser l’expérience, on dispose d’une couche de liquide, par exemple de l’eau, enfermée entre deux plaques parallèles qui vont servir de surfaces d’échange thermique.
Équilibre et conduction thermique. Au départ, les températures des plans supérieur et inférieur sont identiques. Le liquide évolue vers un équilibre thermique, où sa température est homogène et identique à celle du milieu extérieur. Si l’on fait légèrement varier la température extérieure, le liquide évoluera vers un nouvel état uniforme, conformément à la deuxième loi de la thermodynamique. Ensuite, on commence à chauffer la paroi inférieure. Un flux d’énergie parcourt verticalement le liquide, par conduction thermique, et entre les deux plaques apparaît un gradient thermique linéaire. Ce système peut être décrit par la mécanique statistique.
Convection et turbulence. Si l’on continue à augmenter la température de la plaque inférieure, un phénomène radicalement nouveau se produit : l’apparition de cellules de convection (appelés parfois rouleaux de convection), c’est-à-dire de petits mouvements du liquide bien séparés les uns des autres. La taille de ces cellules est de l’ordre du millimètre. Le mouvement microscopique aléatoire s’ordonne ainsi spontanément à plus grande échelle et devient observable. Les cellules de convection sont stables, et leur sens de rotation est inverse pour deux cellules contigües dans le sens horizontal. Dans une cellule le liquide tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, et dans le sens inverse à l’intérieur de la suivante.
Une petite perturbation est incapable de modifier la rotation des cellules, mais une variation importante le fera. Les cellules de Bénard montrent ainsi une forme d’inertie, d’hystérésis, on peut considérer qu’elles possèdent une sorte de mémoire.
On peut également remarquer qu’un phénomène déterministe au niveau microscopique se traduit par une manifestation imprévisible au niveau macroscopique. Ainsi, on peut parfaitement prédire l’apparition des cellules de convection, mais absolument pas prévoir leur sens de rotation. Une infime perturbation dans les conditions initiales d’expérimentation produira un effet observable et mesurable. C’est une illustration de l’effet papillon.
En conséquence, la température à laquelle la convection apparaît est un point de bifurcation, et l’évolution du système peut être analysée à l’aide d’un diagramme de bifurcation. La température du point de bifurcation dépend de la viscosité du fluide, de sa conductivité thermique et des dimensions physiques de l’expérience.
Si l’on augmente davantage encore la température du plan inférieur, la structure devient très complexe, des turbulences apparaissent, il y a rupture de symétrie et le système devient chaotique. (Wikipédia) ».
Le système chaotique est le plus fréquent. C’est celui que nous constatons tous devant une casserole où nous faisons bouillir de l’eau.
Le dispositif de Bénard et sa régulation visent justement à produire une symétrie qui n’a rien de « spontané ». Pour cela, il faut réaliser un « travail cinétique ».
« Principe physique. Soit un fluide contenu entre deux parois parallèles horizontales, soumis à un gradient thermique de sorte que la paroi inférieure soit à une température T1 supérieure à la température T0 de la paroi supérieure. Sous l’effet du chauffage de la paroi inférieure, les particules fluides situées à proximité de la paroi inférieure voient leur masse volumique décroître et sous l’effet de la poussée d’Archimède, tendent à remonter vers la paroi supérieure. À partir d’un certain seuil du gradient thermique Delta T=T1-T0, ce mouvement des particules fluides induit une déstabilisation du milieu fluide sous la forme de rouleaux thermo-convectifs aussi appelés cellules de Bénard. (Wikipédia) ».
Le « travail cinétique » du dispositif de Bénard devient encore plus complexe et beaucoup moins « spontané » quand on cherche à confiner et à « canaliser sans cloisons » un plasma tritium-deutérium, pour la réussite du projet ITER.
Je précise ici ce que j’entend par « travail cinétique ».
Travail cinétique
La variation de l’énergie cinétique d’une bille en chute libre entre deux points A et B est égale au travail de son poids entre A et B. C’est le travail du poids qui augmente l’énergie cinétique entre A et B. Le travail du poids réalise un transfert d’énergie. Une énergie potentielle est transformée en énergie cinétique. En cas de choc, elle se transforme en énergie mécanique et en énergie thermique.
Dans le dispositif de Bénard, le physicien français Henri Bénard reproduit les conditions expérimentales minimalistes d’une machine de Carnot (comme il existe une machine de Turing). Le dispositif ne comportant pas de piston ni aucun organe mécanique, la chaleur ne se transforme pas en énergie mécanique. Dans la convection cellulaire, la chaleur se transforme en ce que l’on pourrait nommer un « travail cinétique ».
Dans un tokamak comme celui d’Andréï Sakharov et Tamm, comme le JET européen, comme le projet mondial ITER (construit en France), la fusion nucléaire produit une énergie thermique qui fait fondre tout dispositif métallique de confinement. Le confinement est donc réalisé par un champ magnétique. Mais il faut néanmoins assurer un contrôle du plasma tritium-deutérium dans l’enceinte. Comme dans le cas des cellules de Bénard, il faut produire une régulation cinétique, qui « canalise » le processus, sans parois. Cette « canalisation sans paroi » dépense un travail, nécessaire, mais inutilisable (énergie utile).
« Sujet de thèse. L’installation ITER a pour finalité de démontrer la maîtrise de la production d’énergie par fusion thermonucléaire à partir d’un plasma tritium-deutérium confiné par champ magnétique dans une chambre à vide. Les conditions très sévères de fonctionnement qui résultent de la réaction de fusion, les critères liés à la stabilité de celle-ci et la nécessaire limitation de l’absorption du tritium dans la paroi pour des considérations de sûreté limitent le choix du matériau éligible pour la première paroi de la couverture interne de la chambre à vide. De ces raisons, a découlé le choix du béryllium.
L’objectif du travail de thèse est d’étudier l’interaction entre le tritium et les défauts complexes du béryllium qui vont se former en quantité importante dans le matériau soumis aux conditions qui prévalent dans ITER. Ces défauts peuvent être des dislocations, des cavités, des bulles ou encore des précipités, en particulier oxydes de béryllium. Certains de ces défauts, dits étendus, sont susceptibles de piéger une quantité importante de tritium. Ce travail contribuera à fortement améliorer la représentativité des modèles qui seront utilisés pour valider l’efficacité des dispositifs internes à la chambre à vide que l’exploitant compte mettre en œuvre au sein du réacteur ITER. Le sujet s’articule autour de deux axes principaux de recherche, explicités ci-après. (Propositions de thèses 2018, « La rétention du tritium dans l’instalation ITER : du suivi de l’inventaire à l’évaluation du TS en situations accidentelles ») ».
Pour cela, il faut contrôler les instabilités MagnétoHydroDynamiques (MHD) qui peuvent provoquer des disruptions.
« Enfin le fonctionnement s’appuiera sur un contrôle en temps réel des caractéristiques du plasma permettant de rester à l’intérieur du domaine de stabilité. A supposer qu’un imprévu survienne, par exemple une défaillance du système de contrôle, rien n’est perdu pour autant. Il est possible de modéliser une disruption avec des codes MHD non linéaires. Ces codes ont atteint le degré de précision nécessaire pour décrire de manière réaliste le plasma ainsi que les éléments de structure du tokamak. Elles permettent de calculer les forces exercées sur la machine ainsi que la distribution de courant. (CEA, « Disruptions et procédés de mitigation ») ».
C’est étudié pour.
Les cellules de Bénard se produisent dans le dispositif de Bénard et ne se produisent pas dans une casserole ordinaire, parce que le dispositif de Bénard « est étudié pour ».
Pour les plus jeunes d’entre nous, « C’est étudié pour » est le titre d’un célèbre sketch de l’humoriste français Fernand Raynaud (1926-1973).
La locution « c’est étudié pour » peut s’opposer à « c’est comme cela », « c’est naturel », « c’est toujours comme cela », « c’est normal », que l’on emploie devant tout phénomène qui nous paraît naturel ou spontané.
Le recours à la locution « c’est étudié pour », ou à une locution plus savante (« vis dormitiva » ou « vertu dormitive de l’opium »), marque et masque une ignorance, une incompréhension.
« C’est étudié pour » évoque donc une invention humaine (horloge, ordinateur), une construction humaine (usine), une construction animale (un nid), voire une Création divine, devant laquelle nous sommes encore très surpris (« les voies du Seigneur sont impénétrables ») et en quête d’explication (par la Raison philosophique, par l’Expérimentation scientifique, par le Mystère religieux, par le Complot politique ou racial, par l’intervention Extraterrestre).
« C’est étudié pour » exprime notre besoin de trouver, tout de suite et à tout prix, une explication voire une échappatoire, plutôt que d’oser dire « pour l’instant, nous n’avons pas d’explication ».
C’est parce que l’Univers comporte des phénomènes qui semblent improbables, qui semblent voulus, organisés, planifiés, conçus, que Voltaire dit « L’Univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’aît point d’horloger ».
Paradoxe. Dans le dispositif de Bénard, le physicien français Henri Bénard reproduit les conditions expérimentales minimalistes d’une machine de Carnot. Le dispositif ne comportant pas de piston ni aucun organe mécanique, la chaleur ne se transforme pas en énergie mécanique, mais en ce que l’on pourrait nommer un « travail cinétique ».
Dans le sketch de Fernand Raynaud, la locution « c’est étudié pour » exprime plutôt l’embaras des parents devant les questions enfantines, parfois désarmantes. C’est une manière de dire, sans le dire, tout en le disant « je ne sais pas pourquoi, mais il doit bien y avoir une raison à tout cela ». Ce qu’il faut à tout prix éviter de dire, c’est « je ne sais pas ».
Contenu du sketch :
« – Papa !
– QUOI ?
– Je voudrais te demander : Les sous-marins atomiques, comment ils peuvent fonctionner dans l’eau ?
Parce que, il paraît que d’un côté, il n’y a pas de moteur Diesel, il n’y a pas de moteur électrique…
On en parlait justement encore à la récréation…
Comment ils peuvent fonctionner dans l’eau, dis papa, les sous-marins atomiques ?
– Hwn… hum… Mon vieux… C’est étudié pour !
– Je comprends bien que c’est étudié pour.
Seulement moi je n’ai que neuf ans et demi, et avec les nouvelles méthodes d’instruction scolaire, je ne sais pas grand-chose.
Mais je crois savoir, comme le commun des mortels, c’est-à-dire n’importe quelle andouille sur terre, que si l’atome est la plus petite partie d’un corps simple, et la molécule la plus petite partie d’un corps composé, comment se fait-il que l’on puisse désintégrer un atome, non pas dans une pression atmosphérique – ne nous leurrons pas – mais dans une pression hydraulique.
Qui dit hydraulique, dit H2O – deux parties d’hydrogène, une partie d’oxygène – de sorte que lorsque nous avons – défendant la théorie de Joliot-Curie – au centimètre…
– T’en as pour longtemps à me soûler avec tes salades, dis, hein ? Qu’est-ce que tu veux que je sache, moi, les atomes et les molécules comment qu’ça fonctionne ?
– J’aurais tant aimé avoir, dans mon foyer, un réconfort moral. Je n’ai que tribulations. Lorsque Einstein a dit…
– Fous-moi la paix avec Einstein ! J’veux pas d’histoires avec les voisins !
– Mais pourquoi pas Einstein ? C’est pas un voisin…
– Fous-moi la paix ! Et tout l’temps il m’parle, ce gosse : « Et nia nia nia, et nia, nia, nia, et nia nia… » J’ai une tête comme ça moi, le soir… Je suis ton père, je suis dans ma maison, t’es mon fils, donc fous-moi la paix ! J’ai le droit de commander ici ! Il m’énerve ce gosse : « Et nia nia, nia, nia, nia, nia ! » J’suis en train de lire, moi, je sais plus où j’en suis… Ah, c’était… C’était si passionnant, où c’est que c’était ???… A la fin de la page, oui, c’est vrai : – « Tintin dit à Milou… »
– Mais écoute papa, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Lorsque l’atome…
– Fous-moi la paix ! Qu’est-ce que tu veux que je fasse, moi, avec les atomes, les molécules… Pose-moi des questions qui n’aient pas trait aux atomes ni aux molécules, et je te répondrai.
– Tu ne me répondras pas. Je sens que tu ne veux pas me répondre, papa : pourquoi ?
– Mais… d’où il sort c’gosse ?! Mais si ! Je veux t’répondre, mais pas à des questions sur les atomes ni les molécules !
– Tu me le jures, papa ?
– Oui, je te le jure.
– Bon. Je vais t’en chercher une chouette de question, tu vas voir. Elle n’a trait ni aux atomes ni aux molécules. Papa !
– QUOI ?
– Pourquoi que les vaches elles ont des cornes, et puis que les chevaux ils en ont pas ?
– C’est… C’est étudié pour !
– Papa ! .
– Quoi ?
– L’autre jour, il pleuvait. Et en voyant cette pluie bienfaitrice qui créait sur le sol des petits rus qui allaient grossir des ruisseaux, qui eux-mêmes allaient amplifier des fleuves, je me suis dit : « Depuis des milliards d’années qu’il y a des milliards de mètres cubes d’eau qui descendent des fleuves, et qui vont dans les océans, continuellement, pourquoi que les océans, ils finissent pas par déborder ? »
– Et les éponges, qu’est-ce t’en fais ?
– Papa !
– Mais écoute, Toto, moi qui suis ta grand-mère, j’avoue franchement que ce soir, tu finis par embêter ton père.
– Ah vous, la belle-mère, foutez-moi la paix, hein !
C’est mon gosse, et il a le droit de s’instruire !
(Fernand Raynaud, « C’est étudié pour ») ».
Couche limite thermique.
Dans le dispositif de Bénard, le contrôle du processus de convection cellulaire est réalisé grâce à la mise en place de deux couches limites thermiques (CLT) :
une couche supérieure (tenant lieu de source froide) ;
une couche inférieure (tenant lieu de source chaude).
Une couche limite thermique est une des composante d’un milieu ou d’un système convectif où se produisent des cellules convectives ou cellules de convection.
Dans un fluide soumis à un gradient de température, une couche limite thermique ou CLT est une couche de fluide séparée d’une autre couche avec laquelle elle échange un peu de chaleur par conduction. Mais cette conduction peut se transformer en convection. En effet, au sein de chaque CLT, des mouvements existent, qui sont l’amorce des cellules de convection, si le fluide passe d’un processus de dissipation de chaleur par conduction à celui, plus rapide, de la convection.
La convection peut se produire dans des milieux solides (manteau terrestre), liquides (eau chauffée) ou gazeux (masse d’air chauffée par le rayonnement terrestre).
Dans le manteau terrestre, la lithosphère est la couche limite thermique supérieure d’un système convectif dont le manteau convectif est le cœur et dont la couche limite thermique inférieure est la limite entre le noyau liquide et le manteau.
Un système convectif peut produire une convection chaotique (bulles dans une casserole d’eau) ou une convection cellulaire (cellules de Bénard, orage cellulaire dans un cumulonimbus, convection mantellique dans le manteau terrestre).
Mais un manteau planétaire (terrestre, martien) n’est pas vraiment l’homologue du dispositif de Bénard.
En effet, dans le dispositif de Bénard, les deux CLT sont homogènes et horizontales. Elles incarnent parfaitement les concepts de source chaude et de source froide de la machine de Carnot.
Par contre, dans un manteau planétaire, la chaleur ne vient pas d’une source chaude bien localisée à la base, hormis l’énergie gravitationnelle fossile du noyau. La chaleur tellurique actuelle, de nature radioactive, est répartie dans toute la masse du manteau. Il y a donc une CLT inférieure, mais elle n’est qu’une partie de la source chaude.
De fait, statistiquement, les conditions du dispositif de Bénard ne sont pas toujours réunies :
dans le manteau terrestre, qui génère une tectonique multi-plaques, les cellules convectives n’ont pas pour cause la CLT inférieure ;
dans le manteau martien, qui génère une tectonique mono-plaque, il y a un point chaud, avec un seul panache mantellique, dont témoigne le dôme de Tharsis ;
dans l’atmosphère terrestre, les cellules convectives se forment entre deux CLT, la surface du sol surchauffé et la tropopause. Mais ces cellules sont de courte durée.
Statistiquement, les cellules convectives et leur auto-organisation ne sont pas très fréquentes.
Il a fallu des circonstances très particulières pour passer du pré-biotique au vivant.
Voilà ce que j’entends, ci-dessus, par « énergie gravitationnelle fossile » :
L’énergie gravitationnelle fossile est une énergie gravitationnelle, ou énergie potentielle gravitationnelle, qui a été utilisée en énergie cinétique, puis transformée en énergie thermique et qui ne s’est pas encore dissipée.
C’est l’énergie gravitationnelle, entre des planétésimaux, qui a provoqué la formation de la Terre, par un long processus d’accrétion. A la fin de sa formation, la Terre était une boule de magma, ce qui a permis au Fer et au Nickel de migrer vers le centre, par gravité, formant le noyau terrestre.
A la limite, la viscosité transforme l’énergie cinétique en chaleur. Dans la Terre, la chaleur fossile du noyau n’a pas fini de se dissiper. Elle se communique au manteau terrestre par conduction. Mais, dans le manteau, il y a une autre source de chaleur, plus diffuse et de nature radioactive. Par contre, le Fer du noyau n’est pas radioactif.
Tectonique mono-plaque
Le manteau de la planète Mars a beau être un manteau convectif, la convection n’y produit pas les grandes cellules convectives qui ont généré de nombreuses plaques tectoniques sur Terre.
La tectonique martienne est une tectonique mono-plaque. La planète Mars a une lithosphère épaisse qui est peu sensible aux mouvements convectifs de l’asthénosphère.
La tectonique des plaques est l’étude de la formation des plaques océaniques, des plaques continentales, de leurs déplacements, de leur coulissage, de leur subduction ou de leur collision, du fait de la convection dans le manteau d’une planète.
Sur Terre, il y a une bonne dizaine de plaques.
Sur Mars, il y a eu une convection dans le manteau martien donnant lieu à une tectonique mono-plaque.
« Aujourd’hui la planète Mars ne présente pas de tectonique des plaques, l’épaisseur de sa lithosphère, comme détaillée dans la section suivante, est trop importante pour qu’elle soit fragmentée, et sa structure superccielle est de type ‘mono-plaque’. (Julien Vaucher, thèse, « Processus géophysiques de surface des plaines de lave de la province volcanique de Cerberus, Mars », Toulouse III, 2007, « Organisation thermique et dynamique Martienne ») ».
Comme toujours, si la Thermodynamique a toujours raison statistiquement, seules les circonstances particulières décident si la convection, qui est un phénomène courant, génère ou non un convection cellulaire pouvant être considérée comme un processus d’auto-organisation.
Tectonique multi-plaques, sur Terre.
Les systèmes convectifs partagent des similitudes, mais se distinguent par les valeurs de certains paramètres.
La tectonique martienne est une tectonique mono-plaque. Sa lithosphère épaisse est peu sensible aux mouvements convectifs de l’asthénosphère.
A contrario, la tectonique des plaques terrestres nous apparaît, aujourd’hui, comme une tectonique multi-plaques.
La tectonique terrestre connait de multiples cellules convectives de grande taille. Pourtant, le nombre de Rayleigh devrait produite une convection chaotique.
Si la convection mantellique terrestre se rapproche des cellules de Bénard, produites dans un dispositif de Bénard, entre deux CLT, c’est pour une autre raison : la croûte terrestre continentale est un isolant.
La différence entre les plaques océaniques et les plaques continentales réside dans la densité (basalte versus granite), l’épaisseur (variant du simple au double) et la conductivité thermique (conducteur versus isolant).
La différence de la conductivité thermique a des effets qui n’avaient pas été compris, jusque récemment. En réalité, les continents se comportent comme des isolants thermiques, au-dessus des cellules de convection du manteau terrestre. L’accumulation de chaleur sous les continents provoque une convection à grande échelle, et même à leur échelle (continentale).
Alors que le nombre de Rayleigh laisserait prévoir une convection chaotique, sur Terre, on a une convection auto-organisée, du fait de l’action des continents.
L’auto-organisation de la convection mantellique terrestre n’est pas la conséquence d’un finalisme cosmique (qui s’imposerait aussi sur Mars), mais le résultat, aléatoire, d’une combinatoire de valeurs de paramètres.
Référence : un article d’Edouard Kaminski, de l’IPGP et de Laurent Guillou-Frottier, du BRGM, publié sur le site web de l’ENS Lyon, en 2002.
« Les continents, comme des couvercles isolants au-dessus des cellules de convection.
Parmi les particularités du système convectif terrestre, on peut citer bien sûr la présence de plaques océaniques, mais également la présence des continents. En effet, la convection thermique qui agite le manteau est déterminée d’une part par la capacité des roches à s’écouler (c’est-à-dire leur viscosité), d’autre part par la chaleur interne que doit évacuer le système (produite par désintégration radioactive), mais également par les conditions aux limites, c’est-à-dire le flux de chaleur interne provenant du noyau à la limite manteau/noyau, et les conditions thermiques à la surface des lithosphères océaniques et continentales. Or ces dernières sont très différentes :
La lithosphère océanique est plutôt fine, en moyenne une centaine de kilomètres : elle a une épaisseur nulle au niveau des dorsales, et son épaisseur maximale est limitée par le phénomène de la subduction. En raison de la faible épaisseur de la lithosphère océanique, elle évacue un flux de chaleur fort, en moyenne mesuré à 100 mW/m2.
Les continents au contraire ne sont pas entraînés en subduction, et l’épaisseur de la lithosphère continentale est beaucoup plus grande (estimée aux alentours de 250 km par les méthodes géophysiques). Le flux de chaleur estimé en base de lithosphère est également plus faible, aux alentours de 12 mW/m2.
On peut donc dire que les continents sont épais et froids : ils ont donc un effet de couvercle isolant sur la convection. Quels sont alors les effets de ce couvercle sur la convection mantellique ?
Ce mouvement de convection thermique s’établit si les différences de température et de densité sont importantes, si la viscosité n’est pas trop forte, etc….
Les résultats d’un modèle analogique convectif.
Pour répondre à la question précédente, deux méthodes sont possibles :
on peut soit résoudre numériquement les équations de la convection en imposant aux limites du système des conditions thermiques différentes selon que l’on se trouve sous les continents ou sous les océans : la température est fixée sous les océans alors qu’elle ne l’est pas sous les continents.
soit développer un système analogique en laboratoire en faisant une mise à l’échelle du manteau terrestre.
C’est cette seconde méthode que nous allons suivre ici.
Comment faire une mise à l’échelle du manteau convectif terrestre ?
Les problèmes liés à la modélisation.
Pour cela, il faut commencer par faire des choix sur la modélisation physique du problème qui nous intéresse. En effet si on arrivait à reproduire en laboratoire un système parfaitement équivalent à une Terre en miniature, on aurait devant les yeux la même complexité que dans la nature et on n’aurait rien appris sur la physique du système. Par contre, en isolant une problématique particulière, ici l’effet des continents, on peut arriver à comprendre quelle est l’influence d’un paramètre sur le comportement général du système. C’est cela le travail du modélisateur.
Quelles sont donc les notions importantes que doit incorporer notre système analogique ?
Le choix du fluide convectif
Tout d’abord on s’intéresse au manteau convectif, il nous faut donc un fluide animé de mouvements de convection semblables à ceux du manteau. Pour choisir ce fluide, on utilise ce que l’on appelle des nombres sans dimension, qui caractérisent le système. Par exemple en sport, on compare souvent les athlètes en fonction de leur rapport poids/puissance. En convection on utilise le nombre de Rayleigh, qui est défini comme le rapport entre l’énergie motrice pour la convection (la chaleur contenue dans le système, qui dépend de ses dimensions et de sa température moyenne) et les dissipations, dissipations visqueuses et par conduction de la chaleur.
Dans la Terre, on estime le nombre de Rayleigh entre 10^5 et 10^7. En laboratoire on obtient des valeurs semblables en utilisant des huiles à peu près cent fois plus visqueuses que l’eau dans des cuves d’une dizaine de centimètres de haut, avec une température basale de l’ordre de 50°C et une température de l’ordre de 10°C au sommet de la cuve (température maintenue par circulation d’eau dans des plaques de cuivre). On dit que l’on a une similitude dynamique entre notre analogue de laboratoire et le manteau terrestre : leurs dimensions ne sont pas les mêmes, mais leur fonctionnement physique est identique.
Le fonctionnement du modèle de convection SANS continent
Nous nous intéressons tout d’abord à la convection dans notre système sans continent isolant.
Expérience analogique de convection sans continent (nombre de Rayleigh = 2.10^6)
On observe que le système est chaotique (si on le regarde à deux instants différents, l’image n’est pas la même), et que la convection a lieu sous forme de forts courants chauds ascendants et froids descendants, des panaches, qui se déplacent dans le temps. Il ne semble pas a priori que ce comportement soit équivalent à celui de la Terre.
En effet, sur Terre on peut faire l’hypothèse que le volcanisme de points chauds comme Hawaï provient de panaches chauds, mais il semble que le mouvement des plaques océaniques correspond à de grandes cellules de convection qui ne sont pas apparentes à ce stade dans notre analogue. Enfin, les zones de subduction sont des structures 2D dont la géométrie est assez éloignée de celle d’un panache.
Il nous manque donc un ingrédient important pour se rapprocher du système terrestre. Rajoutons un continent et testons son influence sur notre analogue….
Le fonctionnement du modèle de convection AVEC continent
Comment rajouter un continent ? Nous avons vu qu’au niveau thermique, un continent est une zone froide et épaisse, qui se comporte comme un isolant thermique. Dans notre expérience, la condition de température fixée est imposée par une plaque de cuivre. Pour simuler la présence d’un continent, on introduit au centre de la plaque un matériau de conductivité thermique proche de celle du fluide et qui permet de retrouver l’effet d’isolation thermique.
Précisons que le matériau choisi et le fluide sous-jacent ont des conductivités thermiques voisines, comme dans le cas réel entre continent et manteau terrestre. Autrement dit, le « continent expérimental » n’est pas un isolant thermique. L’effet d’isolation thermique s’explique par le faible flux de chaleur qui s’évacue sous le continent et non par l’imposition d’une faible conductivité thermique.
Quel est le résultat obtenu pour les nombres de Rayleigh considérés ici ?
Celui-ci dépend dans le détail de la taille du continent par rapport à la taille du système, mais on peut donner un résultat général illustré par les photographies pour différentes valeurs des paramètres expérimentaux. Il y a une organisation générale de la convection qui était jusqu’alors chaotique : à présent les panaches ascendants sont focalisés sous le continent alors que les courants descendants sont bidimensionnels et sont localisés à la périphérie des continents.
Expérience analogique de convection avec continent (nombre de Rayleigh = 2.10^7)
Expérience analogique de convection avec continent (nombre de Rayleigh = 10^6)
Début d’une expérience de convection (nombre de Rayleigh = 10^7)
Sur la figure 5, on visualise nettement la tête du panache. On constate que le panache ascendant sous le continent n’est pas nécessairement continu et qu’il peut fonctionner par pulsations.
Ascension du panache sous-continental
Connaissant ces résultats, on peut essayer de comprendre leurs origines physiques et d’extrapoler leurs conséquences pour la Terre (c’est bien l’objet de la géophysique).
Explication géophysique de l’effet des continents
D’où vient donc l’effet des continents ?
À cause de l’effet isolant créé par la présence des continents, ces derniers évacuent mal la chaleur (vérifications faites lors des expériences). Il y a donc accumulation de chaleur à leur base, et le matériel y devient de plus en plus chaud. Cela induit un flux de chaleur depuis le centre du continent chaud vers les bords froids du continent et ceci organise la convection à grande échelle avec ascension de matériel chaud sous le continent et descente de matériel froid en périphérie.
Cela nous amène directement aux conséquences pour la Terre : les continents permettent d’organiser la convection chaotique (qui se produirait aux nombres de Rayleigh terrestres) en cellules convectives de dimension comparable à celle des continents, et elle peut avoir un rôle dans la formation des zones de subduction en bordure des continents.
Enfin, le courant chaud localisé sous les continents a probablement un rôle important dans la rupture des continents et l’initiation du cycle de Wilson : on imagine facilement qu’au bout d’un certain temps le continent chaud va se déchirer sous l’effet du courant latéral présent à sa base et donner naissance à un nouvel océan.
Pour finir, notez que nous avons illustré comment un seul paramètre, la présence d’un continent, pouvait modifier profondément la structure de la convection. Ceci montre bien que la difficulté de l’étude de la convection terrestre : d’une part la physique complexe doit être étudiée par étapes pour chercher à comprendre qui est responsable de quoi (ici les continents), et d’autre part le problème doit être appréhendé dans sa globalité (continents, zones de subduction, plaques…) pour interpréter les données géologiques.
Ces notions de base méritent d’être gardées en tête lorsqu’on essaie de comprendre la place des zones de subduction et des dorsales dans la convection mantellique. (Edouard Kaminski, IPGP, Laurent Guillou-Frottier, BRGM, « Influence des continents sur la convection mantellique », in Planet Terre, site web de l’ENS Lyon, 2002) ».
Convection chaotique
La convection est un phénomène assez courant de dissipation rapide de l’énergie thermique, mais elle peut prendre des formes diverses :
stationnaire, pouvant se limiter à de simples rouleaux de convection bidimensionnels ;
par bouffées plus ou moins périodiques, à base stable dans le temps long, donnant, dans le manteau (terrestre ou martien), des panaches mantelliques, caractéristiques des points chauds ;
chaotique ou instable (par sa localisation ou dans son rythme), comme on le voit dans une casserole d’eau bouillante.
Ces différents régimes de convection peuvent être prévus si on est capable de déterminer le nombre de Rayleigh (Ra). Au fur et à mesure de la croissance de Ra, on obtient :
1700 < Ra < 30 000, une convection stationnaire, voire oscillante ;
30 000 < Ra 70 000, une convection chaotique ou instable.
Le régime de convection dépend aussi d’un autre nombre, le coefficient d’échange, h, qui est aussi valable pour la conduction
La gamme des valeurs de h (unité Wm−2K−1) est :
convection libre (air) 5-25
convection libre (eau) 100-900
convection forcée (air) 10-500
convection forcée (eau) 100-15000
convection forcée (huile) 50-2000
convection forcée (métaux fondus) 6000-120000
eau bouillante 2500-25000
vapeur d’eau se condensant 50000-100000
rayonnement (linéarisé à 300K) 1
Si on ne jugeait que d’après le nombre de Rayleigh, une convection chaotique devrait opérer dans le cas du manteau terrestre. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que les continents se comportent comme des isolants thermiques.
Formation d’un supercontinent. Une simulation analogique (2008) montre que les plaques continentales ont une action qui stabilise la localisation de la convection. Des cellules convectives stables se forment, qui épousent les limites des continents, jusqu’à ce qu’une trop forte accumulation de chaleur provoque l’ouverture d’un rift continental. D’où le lien avec le cycle de Wilson.
L’auto-organisation n’est pas le principe universel de l’évolution de l’Univers. L’auto-organisation n’émerge que lorsque des circonstances très particulières le permettent.
Je suis très sensible à l’intérêt que vous portez à mon blog. Vos commentaires sont également intéressants. Malheureusement, ils dépassent très largement le cadre de ce qu’on appelle usuellement des commentaires. Je vous invite vivement à créer votre propre blog (le logiciel WordPress est gratuit) plutôt que d’utiliser le blog d’un autre à vos propres fins, comportement qui est celui d’un parasite. Je me vois donc dans l’obligation de vous supprimer l’accès à ce blog.
Bonjour Monsieur Roddier,
De fait, j’attache beaucoup d’intérêt à votre blog, parce que, comme je l’ai expliqué dans un commentaire, je rêve d’une Economie Politique qui tiendrait compte de la Thermodynamique depuis que j’ai fait un exposé sur ce sujet en maîtrise d’Economie (1969), avant même le rapport du Club de Rome (1972) et avant de devenir chercheur.
Je me réjouis donc, au plus haut point, de toute la vulgarisation (de haut niveau) que vous faites sur ce sujet.
Par ailleurs, si vous aviez fait une petite recherche sur la toile, vous auriez vu que j’ai « déjà beaucoup donné », depuis 1998.
Comme je ne suis pas un parasite, et comme je n’ai pas besoin de votre blog, je cesserai donc d’y participer.
Ceci est mon dernier message.
Merci de le publier, au titre du droit de réponse.
Bien cordialement à vous et à vos lecteurs assidus.
Cher monsieur Rodier
Votre réflexion m’a depuis longtemps fascinée. J’ai quant à moi été formée aux neurosciences. Suite à votre travail j’ai récemment découvert 2 auteurs qui à mon sens sont dans le cadre de votre réflexion: Karl Friston et son principe d’énergie libre et Terrence Deacon et son narratif thermodynamique – morphodynamique – homéodynamique et tėléodynamique. Vous restez selon moi un pionnier en la matière.
Merci à vous
Isabelle