103 – Les oscillations du cerveau et le rôle du sommeil

Durant les années 80, un certain nombre d’informaticiens se sont intéressés au cerveau en tant qu’architecture informatique. Cela les a conduit à la notion de réseaux neuronaux et à l’étude de leurs propriétés.

La question s’est d’abord posée de la programmation d’une telle architecture. Dans le cas des ordinateurs, un ingénieur étudie le problème à résoudre et écrit un programme qui est enregistré dans l’ordinateur. Par contraste, un cerveau se programme tout seul. On dit qu’il apprend, d’où l’intérêt pour les réseaux neuronaux. Encore faut-il poser le problème à résoudre, ce qui nécessite une intervention extérieure.

Durant les années 90, il est devenu clair que l’intérêt des réseaux neuronaux se limitait aux problèmes d’optimisation et que la nécessité pour la machine de s’autoprogrammer imposait une complication supplémentaire rarement utile. Par contre, l’étude des réseaux neuronaux restait intéressante pour comprendre le fonctionnement du cerveau, mais le cloisonnement des disciplines fait qu’aucun biologiste ne s’y est vraiment intéressé.

Nous avons vu que les structures dissipatives s’auto-organisent. Le physicien danois Per Bak a montré qu’elles s’auto-organisent toutes suivant le même processus qu’il a appelé «criticalité auto-organisée». On peut donc s’attendre à ce que le cerveau s’auto-organise à l’aide d’oscillations autour d’un point critique. C’est bien ce que suggèrent les simulations numériques de Stassinopoulos et Bak, dont les résultats ont été publiés en 1995 (voir l’article décrit au billet précédent).

Dans ce modèle, le réseau neuronal reçoit des signaux sur ses neurones d’entrée dits neurones sensoriels et émet des signaux sur ses neurones de sortie dits neurones moteurs. Lorsque le résultat recherché est atteint, un signal de statisfaction est envoyé «démocratiquement» à tous les neurones, indépendemment de leur contribution. L’auto-organisation se fait à l’aide de deux paramètres: l’intensité des connections entre les neurones et le seuil à partir duquel l’information est transmise d’un neurone à l’autre. Ces paramètres oscillent au cours du temps de façon à maximiser la «satisfaction» générale.

Nous avons vu que toutes les structures dissipatives produisent du travail mécanique en décrivant des cycles semblables aux cycles de Carnot. Cela nous a conduit à modéliser l’économie à l’aide de deux paramètres l’offre et la demande dont on a montré que l’un joue le rôle d’une température et l’autre le rôle d’une pression (billet 89). En serait-il de même des paramètres de Bak et Stassinopoulos?

Leur algorithme modélise un être vivant. Celui-ci produit bien du travail mécanique par l’intermédiaire des neurones moteurs. Les signaux de satisfaction proviennent d’un apport d’énergie sous forme de nourriture: ce sont les calories fournies par l’équivalent d’une source chaude. Quant aux signaux d’entrée, ils apportent de l’information de l’environnement, ce qui correspond à une exportation d’entropie. De la chaleur est nécessairement évacuée vers une source froide: c’est la chaleur latente de changement d’état liée à la réorganisation du cerveau.

J’ai dit que l’auto-organisation se faisait à l’aide de deux paramètres. Clairement les seuils jouent le rôle d’une température. Des seuils bas facilitent leur franchissement, comme le ferait une température élevée; des seuils élevés empêchent leur franchissement comme le ferait une température basse. L’intensité des connections joue le rôle d’une pression. Elle mesure un flux de charge comme la pression mesure un flux de particules qui frappent une paroi.

Le modèle de Stassinopoulos et Bak implique que, pour fonctionner, le cerveau doit nécessairement osciller de part et d’autre d’un seuil de percolation. Dans mon dernier billet, j’ai parlé de la conscience. Celle-ci implique un état d’éveil durant lequel notre cerveau percole. Lorsque nous dormons, nous ne somme plus conscients. C’est donc un état durant lequel notre cerveau ne percole plus. Curieusement, Stassinopoulos et Bak ne semblent pas avoir vu que leur modèle impliquait l’existence du sommeil: il en montre le rôle et la nécessité.

Rappelons que toute structure dissipative oscille autour de son point critique et que ces oscillations, parfois qualifiées d’oscillations de relaxation (!), n’ont pas de périodes propres. On sait que de telles oscillations se synchronisent aisément sur des phénomènes extérieurs. Il est donc naturel que le cerveau se synchronise sur le cycle diurne, soit en phase (animaux diurnes) soit en opposition de phase (animaux nocturnes). Pour certains la synchronisation se fait sur les saisons. C’est le cas des animaux qui hibernent.

Le sommeil apparait ainsi comme une phase nécessaire du cycle d’oscillation du cerveau. Dans le prochain billet, nous comparerons ces oscillations aux cycles d’une machine à vapeur, ce qui nous éclairera encore sur leur fonctionnement, et nous généraliserons ces concepts à un réseau neuronal quelconque.


9 réflexions sur « 103 – Les oscillations du cerveau et le rôle du sommeil »

  1. « On sait que de telles oscillations se synchronisent aisément sur des phénomènes extérieurs »

    L’équation de Lotka-Volterra admet des solutions sans périodes propres (je crois me souvenir). Si c’est bien le cas le modèle prédateur-proie de Lotka a alors d’excellentes facultés d’adaptation et c’est peut-être pour cette raison qu’on le voit apparaître si souvent en biologie et écologie.

    Le modèle prédateur-proie de Thom, lié à la catastrophe fronce, est, selon lui, à la base de l’embryologie animale.

    J’ai écrit récemment ici (et ailleurs) avec assurance que ces deux modèles prédateur-proie n’avaient rien en commun.

    En fait je n’en sais rien (je n’ai rien lu à ce propos en fouillant sur le net).

    Certaines des analogies (toujours fécondes) que vous faites avec le cycle de Carnot (source chaude proie/source froide prédateur) font chaud au coeur.
    D’autres font froid dans le dos: l’Etat, ce monstre froid…

  2. Bonjour,
    On constate que le cerveau oscille entre différentes phases,ses dernières se retrouvent également dans tout les domaines de la nature.
    Ainsi l’histoire de l’évolution est ponctué de phases de « boom » et de « crash » continuelles.
    Selon la théorie de la gravité quantique,l’univers lui même suivrait un cycle d’expansion puis d’effondrement,suivit d’un rebond (« big bounce »).
    Les fluctuations seraient elles donc le principes ultime qui anime notre Univers?

  3. 1. Gravitation: Newton a postulé l’existence d’un champ gravitationnel, agissant à distance de façon magique, ce que lui ont reproché les cartésiens de l’époque. Newton a rétorqué qu’il n’en avait cure (« Hypotheses non fingo ») arguant du fait que la vérification expérimentale de sa théorie de la gravitation le dispensait de faire des hypothèses sur la nature du dit champ, et sa manière de voir les choses a fini par s’imposer.

    Thom d’une part et Prigogine/Per Bak/Roddier d’autre part postulent l’existence de champs morphogénétiques. Leur manière de voir va-t-elle finir par s’imposer?

    Principes mathématiques et/ou thermodynamiques de la philosophie naturelle?

    1. À Paris, vous le trouverez chez Eyrolles. À Bruxelles je l’ignore. Essayez Filigranes, avenue des arts ou Tropismes, Galerie des Princes.

  4. Les oscillations sont conçues dans un système bivalent : chaud / froid.

    Or, pour le psychisme, la clinique permet plutôt d’envisager une logique à quatre pôles, avec une double oscillation. Le modèle thermodynamique nous manque encore à ce sujet…

    1. Les moteurs thermiques performants sont en général à quatre temps: ils nécessitent un double aller et retour du piston pour effectuer un cycle complet.

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